Jon Voight – The General : Vol qualifié
Cinéma

Jon Voight – The General : Vol qualifié

Durant les années 80, l’Irlande fut traumatisée par un voleur peu ordinaire, Martin Cahill, surnommé Le Général. Issu d’un milieu pauvre, il vivait plutôt sobrement, entouré d’une tribu heureuse. Son haut fait est d’avoir volé le seul Vermeer ayant appartenu à une collection privée. Traits caractéristiques de cette figure mythique: il roulait en Harley, passait la nuit au poste pour se monter un alibi, et piquait ses armes directement dans l’arsenal de la police. Il arrivait en cour avec une main cachant son visage, pouvait être d’une grande violence, et se foutait éperdument de toute forme d’autorité, y compris de celle de l’IRA qui, un jour de 94, l’a froidement abattu. Un autre Irlandais, John Boorman, est tombé sous le charme de ce personnage, et The General marque le retour attendu d’un réalisateur de talent. Martin Cahill est interprété par Brendan Gleeson, que les faiseurs de slogan ont déjà qualifié de Depardieu irlandais. Incroyable acteur, aussi charmeur que violent, aussi tendre que bouffon, il porte le film avec une aisance surprenante. Face au Général, une seule personne cherche à comprendre les démons du voleur, un détective qui vient du même milieu que lui, Ned Kenny, interprété par Jon Voight, ami de Boorman depuis Deliverance, en 1972. «John m’envoie toujours des scénarios, explique Voight au téléphone. Celui-là, je l’ai lu en une soirée, et je trouvais qu’il avait fait un boulot magnifique. Mais, à mon sens, quelque chose manquait. Le lendemain, je l’ai appelé, il m’a dit qu’il y avait un rôle pour moi, celui du détective. Et je lui ai dit que c’était justement ce rôle-là qui n’était pas assez défini! Je me suis dit que je pouvais peut-être ajouter quelque chose.»

Jon Voight a donc concocté un personnage qui n’a pas existé, somme de plusieurs policiers ayant suivi le vrai Martin Cahill pas à pas. Il a travaillé un accent irlandais impeccable, une démarche, une façon de s’habiller pour créer l’antithèse de Cahill. Habitué, depuis quelques années, à voir l’acteur en méchant classique, on est surpris et séduit par ce magnifique personnage, tout en retenue et en détails. «Un détective, qui a connu Cahill, m’a été très utile. J’avais besoin d’authenticité, explique-t-il. En général, je compte sur la chance pour modeler un personnage. Mais, parfois ce n’est pas possible de trouver l’information désirée en soi, et puis j’aime bien prendre des trucs de la vie. En fin de compte, ce rôle était parfait et j’en suis fier.»

+ 60 ans, Jon Voight, qui déclare ne plus courir après les rôles, «parce que je n’ai plus de problèmes à résoudre avec ça», mais qui désire plus que jamais participer à l’élaboration d’une histoire, n’en finit plus de parler de la joie d’être sur un tournage et particulièrement sur celui-ci. Son plaisir d’avoir été à Dublin avec Boorman est évident. «J’ai travaillé avec beaucoup de grands réalisateurs, mais Boorman est assez extraordinaire. Pour Deliverance, il m’a couru après en me disant: "Quel que soit le drame, je peux le filmer!" Il sait tout faire, il connaît parfaitement la technique. Il sait prendre des éléments, et leur donner vie. Il sait s’attarder sur ce qui est important, et ne fait pas un film au montage. Bref, il a un talent inné, un langage. Pour Deliverance, nous étions jeunes et assez dingues, mais il était déjà en complète maîtrise de son travail.»

Dans The General, cette maîtrise prend l’aspect du noir et blanc, forme reine pour ne pas perdre le spectateur dans des détails surperflus. On s’attarde donc sur un personnage que le cinéaste a construit comme un gangster de films noirs. Comme Scarface, Cahill est si finement présenté qu’on ne sait s’il faut le haïr ou l’aimer. Grâce à la construction en flash-back, le personnage a d’emblée notre sympathie, mais Boorman ne force jamais la dose. Sans prévenir, on passe du patriarche tendre au caïd cruel. L’effet de surprise est chaque fois parfaitement maîtrisé; et, chaque fois, cela perturbe le jugement, mais rehausse la complexité du personnage. Durant tout le film, Boorman, Gleeson et Voight, avec leurs trois points de vue, étoffent savamment ce voleur pour se permettre, en finale, d’offrir une image qui en fait la synthèse, avec un gros plan de Cahill – main devant le visage, oil qui pétille et arcade sourcilière frémissante -º qui résume les tourments de cet intelligent stratège qui a délibérement choisi d’être contre l’autorité.

Les années 90 n’ont pas été très fructueuses pour le réalisateur d’Excalibur et de Hope and Glory. Aujourd’hui, avec le Prix de la mise en scène du Festival de Cannes en poche, il renoue avec le succès critique, et signe le meilleur film (avec The Butcher Boy, de Neil Jordan) a être sorti de la verte Irlande ses dernières années. Voight, lui, heureux de faire mousser un film qui a si bonne presse et si fière allure, s’active sur d’autres terrains. Scénariste, producteur, et réalisateur à ses heures, il aime développer les projets des autres. Il s’escrime d’ailleurs à pousser une nouvelle fois Terrence Malick hors de sa tanière…

Suite à la fermeture temporaire du Cinéma du Parc, The General ne prendra pas l’affiche le 5 mars. Peut-être le 12 mars…