Aprile : Chanson légère
Même les esprits les plus torturés ont l’âme légère quand avril adoucit Rome. C’est le cas de Nanni Moretti. Quatre ans après le succès de Journal intime, voici enfin Aprile, la suite des confessions de l’étonnant réalisateur italien. Pour Moretti, le mois d’avril fait coïncider deux événements majeurs: la montée de la gauche au pouvoir, et la naissance de son premier enfant. Comme si cela ne suffisait pas, il veut tourner une comédie musicale sur un pâtissier trotskiste, mais préfère, dès le premier jour du tournage, tout arrêter pour se consacrer à un documentaire sur les élections en cours.
Voici un second cahier personnel pour le producteur-scénariste-réalisateur où, avec maestria, il expose une nouvelle fois ses tourments, présents dans son ouvre depuis 20 ans. Mais ici, les angoisses s’amplifient. On plonge dans la politique jusqu’à s’embourber. Comme si les craintes personnelles se décuplaient au contact de la morosité collective: autrefois détenteur d’une carte de membre du parti communiste italien, on voit ce brave Nanni hurler devant la bouille de Berlusconi à la télévision; il lit, désabusé, les lettres qu’il écrivait aux hommes politiques; et il cherche, sans trouver, les angles de caméra pour tourner de façon équitable et objective des politiciens à Venise. Moretti s’interroge sur le journalisme, qu’il veut idéal; et crie ses valeurs gauchistes sans trop y croire. Plus que jamais, il se dévoile comme un animal politique désabusé vieillissant et, Moretti oblige, il en fait le constat au grand air, sur sa vespa. Ses craintes de citoyen sont doublées ici de la trouille toute personnelle face à la paternité, ce qui permet de belles scènes de délire, pré et postnatales. Il faut le voir furieux parce qu’il a emmené femme et enfant à naître voir Strange Days au cinéma! Bref, Moretti explose avec le sourire: comment être un citoyen et un père fidèle à ses valeurs?
On peut trouver des similitudes avec Huit et demi, de Fellini, dans la difficulté du processus de création, et dans la quarantaine torturée qui doute de la société. Mais, chez Moretti, l’aigreur fellinienne, même grandiose, s’envole sur un air de cansonnetta légère, et la panique est noyée dans ce projet loufoque de comédie musicale. Si l’angoisse intellectuelle et sociale est présente, Moretti tourne tout en dérision, de la naissance de son fils aux réfugiés albanais. Désabusé face à la caméra, il reste un vrai mélancolique, et les plages plus «sérieuses» du film résonnent encore du piano de Keith Jarrett. Mais, quand il swingue avec son fils sur une chanson, le poupon écrasé sur son épaule, c’est jouissif.
Aprile est donc à la fois plus léger et plus dense que Journal intime. Le mois d’avril est doux, mais le temps presse. S’il semble s’ouvrir au monde extérieur, Moretti en profite pour tout ramener à lui. Plus avide de voir ses rêves se réaliser, il démontre une fois de plus qu’il est un véritable auteur, un sensationnel showman, un Woody Allen de la belle époque, avec hargne politique et montée de lait méridionale en plus. Ce Romain, fou de cinéma, de politique et de water-polo, a transcrit sur écran un regard incrédule, lucide et cynique. Il ne comprend pas tout, se bombarde et nous bombarde de questions, nous regarde droit dans les yeux, et saute du coq à l’âne. Dans Aprile, ça marche encore: l’intelligence est toujours aussi vive, la facture, brillante, et le charme, indescriptible.
Dès le 12 mars
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