La première soirée des Jutra aura donc été marquée par le triomphe attendu, sans équivoque, et mérité, du Violon rouge. En gagnant neuf prix sur les onze pour lesquels il était en nomination, le film de François Girard a tout raflé: film (produit par Niv Fichman, Daniel Iron et Giannandrea Pecorelli), réalisation (Girard), scénario (Girard et Don McKellar), musique (John Corigliano), photo (Alain Dostie), montage (Gaëtan Huot), direction artistique (François Séguin et Renée April), son (Claude LaHaye, Marcel Pothier, Hans Peter Strobl et Guy Pelletier), et second rôle (Colm Feore). Seules les comédiennes Monique Mercure et Sylvia Chang ont dû s’incliner devant Anne-Marie Cadieux et Pascale Montpetit, toutes deux pour leurs rôles dans Le Cour au poing, de Charles Binamé.
Dans les autres catégories, le Jutra du meilleur acteur a été décerné à Alexis Martin, pour Un 32 août sur Terre; celui du documentaire, à L’Erreur boréale, de Richard Desjardins et Robert Monderie; et celui du court métrage, aux Mots magiques, de Jean-Marc Vallée. Tandis que Marcel Sabourin, à qui fut attribué le premier prix Jutra hommage, donna – malgré un montage atroce de ses 50 et quelques films – des remerciements «sabourinesques», énergico-poétiques.
En dehors de la longueur et de l’ennui propres à tous les galas télévisés (soyons indulgent, pour une première édition: il y a place à l’amélioration…), on peut se demander si le mandat de cette manifestation (la promotion du cinéma québécois) atteint vraiment son but. De la même façon qu’il est peu probable que le succès des Boys amène plus de spectateurs à Emporte-moi (l’excellent film de Léa Pool), un gala tel que celui de dimanche dernier n’incitera pas obligatoirement les téléspectateurs à envahir les salles de cinéma. De plus, que feront les votants, les années où aucun film ne se démarquera: attribuer leurs prix au «moins pire»? Si on ne peut qu’être d’accord avec la fonction de visibilité qui motive l’initiative des Jutra, on ne peut que questionner la façon de s’y prendre. À ce sujet: lettre de Bernard Boulad, en page 3.
Démission
Au lendemain des Jutra, Michel Coulombe quittait officiellement la direction des Rendez-vous du cinéma québécois, qu’il occupait depuis 14 ans. Ceci n’expliquant pas cela, il n’y aurait, paraît-il, aucun lien entre les deux événements. Pourtant, difficile de ne pas en voir, alors que Michel Coulombe invoque, comme raison de son départ, «l’attitude démobilisante de la SODEC, assortie d’exigences de rationalisation inapplicables». En termes clairs, on aurait demandé des coupures aux Rendez-vous, alors que l’organisme provincial a versé une somme considérable au Gala des Jutra. Les budgets culturels étant (encore plus que d’autres) peu extensibles, on est en droit de se demander si ce choix glamour ne met pas en danger une manifestation intimiste, soit, mais essentielle à la visibilité de notre cinéma. En espérant que le départ de Michel Coulombe ne sonne pas le glas des Rendez-vous.