Tango : Danse sociale
Un film sur la danse n’est pas chose aisée à réussir. C’est comme un art de plus à caser dans la machine du tournage, des talents supplémentaires à coincer au milieu des autres. Carlos Saura a trouvé un filon, un style et, malgré quelques ajustements nécessaires, il n’en démord pas. Son premier coup de cour dansant a été le flamenco. Avec Noces de sang, L’Amour sorcier et Flamenco, le réalisateur espagnol de Cria Cuervos a fait le tour de cette danse si spectaculaire. Le filon épuisé, il a naturellement choisi l’âme sour du flamenco, le tango.
Avec Tango, il a mis en ouvre une production magistrale, un des films les plus chers d’Argentine, en nomination pour l’Oscar du meilleur film étranger. Le tango et le flamenco ayant de nombreux points communs, Saura a «exploité» la danse argentine de la même manière qu’il avait su le faire avec l’espagnole. L’histoire n’est qu’un prétexte, un léger support pour montrer que le corps est capable de tout exprimer. Ainsi, on se lasse rapidement des émois d’un metteur en scène (Miguel Angel Sola) qui prépare un film sur le tango. Délaissé par sa femme (Cecilia Narova), la pro de la troupe, il va tomber amoureux d’une ravissante recrue (Mia Maestro), maîtresse du mafieux local. Rien de bien nouveau dans ce triptyque amoureux et ces passions contrariées. Et, bien que les acteurs soient justes, on accroche plus à leurs postures qu’à leurs élans. Mais Saura dérape lorsque, pour montrer que la danse ne sert pas que les pas de deux, il filme tout le corps de ballet, composant des tableaux vivants, destinés à illustrer la torture militaire ou les problèmes d’immigration. Le tango, danse sociale?
Si le contenu est banal, la manière est plutôt réussie. Saura est aidé par Vittorio Storaro, célèbre directeur photo (Apocalypse Now, Le Dernier Empereur). Dans un univers toujours clos, sans lumière du jour, ils ont imaginé des centaines de jeux de lumière pour éviter l’ennui visuel. Jumelés à certains mouvements de caméra, nerveux ou amples: on se croirait parfois dans West Side Story. Le tango est filmé avec une caméra volante qui s’attarde autant sur les visages que sur les pieds, et qui capte, très voyeuse, les cambrures et les regards. Moderne, la musique mêle le tango traditionnel aux accents contemporains de Lalo Schifrin, compositeur du thème de Mission Impossible!
Bref, tout dans ce film peu bavard est prétexte à entendre un air de tango, de l’enregistrement de la musique aux enfants qui s’initient à ce pas royal en tablier blanc. En cela, Saura est très généreux: il a voulu faire un film ultime, incluant le tango-amoureux de The Tango Lesson et le tango-blues de Tango, l’exil de Gardel. Il a passé au crible toutes les possibilités qu’offre cette danse à la fois langoureuse, respectueuse, brutale, solitaire, multiple, complexe et éclairée. Carlos Saura a voulu que le tango, aussi vieux que l’Homme, aussi légendaire qu’il soit, puisse être source de nouveauté, capable de renaître de ses cendres à chaque génération, et paraître toujours aussi jeune, quel que soit l’éclairage. Mission réussie.
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