Robert Morin : Vues justes
Parallèlement à son parcours de cinéaste, ROBERT MORIN signe, depuis près de vingt ans, une ouvre vidéo magistrale, qui exploite et questionne le pouvoir des images. Rétrospective du travail d’un des plus importants vidéastes au monde.
Il est ironique, déplorable (et terriblement représentatif de l’étroitesse d’esprit de nos diffuseurs) que l’ouvre vidéographique de Robert Morin – réalisateur de films comme Requiem pour un beau sans-cour et Windigo, mais aussi l’un des vidéastes les plus intéressants au monde – ait été virtuellement boycottée par le médium (la télévision) qui aurait naturellement dû en assurer la diffusion.
Ce paradoxe apparent suggère toutefois bien la force subversive d’un auteur qui explore, depuis près de vingt ans, les thèmes de l’aliénation, de notre rapport aux images et de la poursuite de la liberté, à travers des ouvres qui mettent toujours en cause une société dont la télévision (potentiellement l’une des plus grandes inventions de notre époque) est devenue l’un des instruments de contrôle les plus abrutissants.
Ce n’est donc pas dans votre salon, mais à la salle Fernand-Seguin de la Cinémathèque québécoise que vous pourrez voir une des rares rétrospectives complètes de l’ouvre vidéo de ce créateur d’images inclassable, qui tient à la fois du conteur d’histoires et de l’artiste expérimental, qui entremêle souvent les techniques du documentaire et les possibilités de la fiction, et qui s’est servi de la vidéo, mais aussi du cinéma (en les conjuguant souvent même de façon astucieuse), pour faire ce qu’il appelle, avec une simplicité désarmante et trompeuse, «juste des vues»…
Presque toutes coréalisées avec Lorraine Dufour (sa collaboratrice de toujours), mais aussi parfois avec d’autres (comme Yvon Leduc, coréalisateur de Quelques Instants avant le Nouvel An), et quelquefois même attribuées à leurs «sujets» (comme Helena Valero, la protagoniste de La Femme étrangère), les oeuvres de Robert Morin portent toutes la marque d’un artiste fasciné par l’idée de nous faire partager de l’intérieur, par le biais d’une caméra subjective, les voyages (physiques et mentaux) de personnages plus ou moins aliénés, qui tentent de transcender leur environnement, et qui y arrivent – du moins brièvement – en vivant dans la conscience de leur propre anéantissement. Qu’il s’agisse du Mystérieux Paul, avaleur de couteaux à la retraite, qui ingère des tubes de néon en cachette, pendant que sa femme regarde la télé au salon; du locataire schizoïde du Voleur vit en enfer, qui filme son quartier lugubre de sa fenêtre pour se convaincre qu’il n’est pas en train de devenir aussi fou que ses voisins; ou des junkies de Quiconque meurt, meurt à douleur, qui profitent d’une descente de police filmée qui tourne mal pour crier leur mal de vivre aux caméras de la société.
Souvent inspirées de faits réels, et mettant en scène des «acteurs» familiers avec les situations décrites, les ouvres de Morin abolissent constamment les frontières entre le documentaire et la fiction, au fil de récits subjectifs qui nous font partager les parcours de personnages accros à une drogue – l’héroïne, l’alcool ou le plaisir de filmer… – qui les brûle en même temps qu’elle leur donne le courage de vivre. Ces parcours détournent parfois les conventions des genres (comme dans La Réception, une variation angoissante sur le thème des Dix Petits Nègres, mettant en scène des ex-détenus); éclairent souvent nos propres errances (comme dans le génial Yes sir! Madame…, autobiographie hilarante d’un «parfait bilingue» schizophrène, ex-vendeur de voitures usagées, qui devient un des candidats de Brian Mulroney!); et nous touchent parfois de manière inattendue (comme dans Tristesse modèle réduit, qui raconte – sans une once de rectitude politique – l’histoire d’un garçon trisomique, prisonnier de sa banlieue et de ses parents).
Souvent présentées comme des objets trouvés, les ouvres de Robert Morin sont comme des bouteilles d’eau fraîche, lancées dans un océan d’images imbuvables. Home movies de notre inconscient collectif, elles nous confrontent à des personnages apparemment distants, mais terriblement proches de nous, dont le parcours – étrange et fascinant – finit par nous rejoindre, et changer notre vision du monde.
Pas étonnant que la télé fasse tout pour vous les cacher…
Du 23 au 31 mars
À la Cinémathèque québécoise
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