True Crime : Conte à rebours
Voilà que Clint Eastwood se prend pour le père Noël maintenant… Avec True Crime, il dirige sa 21e réalisation, commande sa 14e production et joue son 41e rôle. Nous parlons donc d’un pro qui sait ce qu’il faut faire pour que tout fonctionne, en particulier le tiroir-caisse.
Inspirée d’un roman d’Andrew Klavan, l’histoire est un polar palpitant, à la sauce psychosociale. Steve Everett (Eastwood) est un reporter alcoolique, qui couche avec tout ce qui porte jupons, et qui fume là où c’est interdit. Mais bien sûr, il a un sixième sens, un instinct infaillible pour sentir la bonne histoire. Ce flair va être mis à rude épreuve: il doit, en douze heures, prouver qu’un condammé à mort (Isaiah Washington) est innocent.
Une chose est sûre: Eastwood est plus à l’aise dans le suspense à la californienne avec un héros vieillissant et blasé, que dans les tourments de l’âme sudiste (voir Midnight in the Garden of Good and Evil). Il a ici entre les mains une bonne histoire qu’il raconte bien, mais qu’il bâcle à la fin. Dès le début, le spectateur est pris dans le compte à rebours, et tout de suite on se range du côté du prisonnier et d’Eastwood, tous deux fort sympathiques. Les séquences en prison, rapides et minutées; les angoisses de l’avocate; les pleurs de la femme et de la fille; la muette sympathie du directeur de prison: toutes ces scènes filent et nous font bien comprendre que, pour le condammé, il reste peu de temps, et que tout est joué. Parallèlement, Eastwood est lent et brouillon. Il s’emmêle dans sa vie personnelle, doit se justifier et mentir, sans pour autant faire preuve d’un quelconque remords. Pour lui, tout est toujours à recommencer.
Il débute sa journée en mordant les fesses de la femme de son boss, emmène sa fille au zoo, s’engueule avec son épouse: c’est un monument d’hésitation, un raté perpétuel, et chaque fois qu’il regarde l’heure, il reprend son enquête en jurant. Ce rythme en deux temps est tout à fait approprié pour raconter cette histoire hitchcockienne. Ça fonctionne. Un casting juste, où chacun prend le temps de développer son petit rôle, des plans nets et précis: rien à redire. L’histoire avance, et l’innocence de l’un se confirme au détriment des talents de fin limier de l’autre. La route du condammé est droite, celle d’Eastwood, accidentée, et il bute devant ses patrons, dont un James Woods tout à fait en forme, avec qui il joue un ping-pong verbal parfois savoureux.
On est tenu en haleine durant deux heures, à jouer les chiens de chasse à la suite de ce bourreau des cours (à près de 70 ans, torse nu: vas-y papy!), à chercher la faille, le témoin, à s’émouvoir de la tristesse de cette si charmante famille qui sera détruite à minuit… Quand soudain la fin arrive, d’une sottise incroyable! Pourquoi Eastwood n’a-t-il pas su arrêter son film plus tôt? Pourquoi nous sortir cette séquence guimauve où, en contre-plongée, il se prend pour le papa Noël des pauvres? On avait déjà compris qu’il était un défenseur de la veuve et de l’orphelin, et qu’un David raté peut se battre contre Goliath, mais ce happy end sucré appuie cette sempiternelle idée qu’on aurait préféré garder en filigrane. Comme si, pendant tout le film, il avait été un super-héros déguisé en vieux con, et qu’à la toute fin, il ôtait son masque, pour apparaître, lui, le roi Clint. Les exigences de rentabilité ont vraiment le don de tout bousiller…
Dès le 19 mars
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