Desperately Seeking Helen : Question d’images
Alors que son premier long métrage, Desperately Seeking Helen, parle essentiellement du rapport entre l’image et la réalité, la vie d’Eisha Marjara n’a pas été un conte de fées.
Née en Inde, la jeune femme quitte son pays natal encore petite fille, alors que sa famille émigre au Canada. Installée à Trois-Rivières, la famille Marjara s’américanise, tout en gardant un profond attachement à ses racines, avec le père professeur (le seul homme de la région avec un turban), et la mère «reine du foyer» qui a «un pied ici, et l’autre là-bas. C’est pour ça qu’elle ne trouva jamais son équilibre.» En apparence, la jeune Eisha s’adapte bien à son pays d’adoption, et voit les voyages annuels en Inde comme des parenthèses avant de «rentrer à la maison». Mais, à l’adolescence, elle commence à souffrir d’anorexie, ce qui l’amène, quelques années plus tard, en clinique. C’est parce qu’elle est hospitalisée qu’elle ne peut, en 1985, accompagner sa mère et sa sour en Inde. Les deux femmes meurent dans l’écrasement de l’appareil d’Air India.
Autobiographie sans concession, bien que parfois humoristique, Desperately Seeking Helen a pour point de départ la recherche qu’effectue la jeune femme à propos d’Helen, une star du cinéma indien qui a joué dans plus de 700 films, et qui fascinait la cinéaste lorsqu’elle était enfant. Eisha Marjara fait le voyage à l’envers, et remonte le fil de sa vie, à la poursuite de cette actrice qui symbolisait, pour elle, l’énergie, la joie et la liberté. Elle se rend en Inde, interroge les chauffeurs de taxis, rencontre maquilleurs et coiffeurs qui ont travaillé avec la vedette, questionne d’autres actrices sur leur métier, et déploie une énergie folle à courir après un mirage. Parallèlement, à travers des photos et des films de famille, des recréations dramatiques et de l’animation, elle nous raconte son enfance, sa relation avec sa mère, sa fascination pour les vamps du cinéma indien qui, contrairement aux héroïnes, étaient libres et mouraient avant l’entracte. Il faut voir ces extraits de films musicaux, éclatants de couleurs, kitsch, à faire pâlir d’envie les psychotroniques du monde entier…
Pour être universel, soyez local: Marjara se sert de son histoire personnelle pour nous en raconter une bien plus vaste. Celle des immigrants qui ont à concilier passé et avenir, mais aussi celle des femmes et l’image qu’elles ont d’elles-mêmes. Sans être au cour du film, l’anorexie est étroitement liée au thème central. En subissant des modèles comme Katie Moss et Cie plutôt que les voluptueuses actrices de Bollywood, et en effaçant littéralement son corps (et quelques images sont très dures…), l’adolescente d’alors refusait de prendre sa place dans le monde. C’est chose faite avec ce film qui mêle habilement de multiples fils.
Critique acerbe, mais chaleureuse, du star-système; portrait de femme fin et poignant; étude touchante et lucide des liens entre la fille et la mère; juste réflexion sur la mémoire et les racines, l’identité et le rêve: Desperately Seeking Helen est un film sincère et maîtrisé.
Au Cinéma ONF
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