Luc Picard-Le Dernier Souffle : Flic Story
Dans Le Dernier Souffle, de Richard Ciupka, LUC PICARD compose un flic ombrageux, à la poursuite des meurtriers de son frère. Un rôle sur mesure pour un comédien intense et fin, qu’on aimerait voir plus souvent au grand écran.
Certains films font bonne impression dès le départ. C’est le cas du Dernier Souffle, de Richard Ciupka. Une respiration difficile ponctue des images de plus en plus troublantes et suggère rapidement au spectateur l’idée que ce polar risque d’être un peu tordu. Ciupka, réalisateur de Coyote, mais aussi directeur-photo d’Atlantic City et de plusieurs Chabrol, a voulu raconter une histoire simple: Laurent Vaillancourt (Luc Picard) est un flic de Montréal pour qui tout s’écroule lorsque sa femme (Doris Milmore) le quitte, et que son frère (Michel Goyette) se fait tuer par des néonazis. Vaillancourt reprend contact avec son père (Julien Poulin), felquiste acharné, et suit les traces des meurtriers de son frère jusque dans le fin fond de l’Arkansas, où l’attendent le FBI, des rednecks et la mafia russe.
«Quand mon agent m’a proposé l’histoire, en janvier 98, j’ai trouvé que c’était une bonne histoire de police, bien ficelée, explique Luc Picard. J’aimais la rencontre entre un policier et l’Amérique profonde. Et puis, de bons films policiers québécois, il n’y en a pas eu des tonnes.» Dans Le Dernier Souffle, le comédien compose une allure, une dégaine qui lui va comme un gant, celle d’un antihéros solide et ombrageux, aussi coriace que Dirty Harry et aussi peu expansif qu’un flic de Melville ou de Corneau. «En lisant le scénario, je sentais qu’il fallait que je fasse sobre. Je suis dans presque toutes les scènes, je suis le narrateur: je devais jouer Vaillancourt de façon intérieure. C’est un gars qui n’est pas très vivant, qui n’est pas présent. Il a perdu le goût des choses, et il est confronté à une situation de vie ou de mort. Il fallait que je sois économe d’émotions, pour laisser juste la couleur.» D’instinct, l’homme d’Omertà et d’Octobre joue les sourcils froncés, la bouche pincée, et lance les mots comme des balles, avec ce petit sourire en ponctuation, comme un accent timide: «C’est vrai, ce genre-là me vient plus facilement, et j’étais très à l’aise dans le rôle. J’ai appris une chose sur ce tournage: c’est que, parfois, la caméra fait en sorte que je n’ai plus rien à faire. Faut pas en mettre plus que ce qu’elle ne fait déjà.»
La caméra, classique, éclaire ce polar de façon formelle, sans originalité particulière. Et on reçoit les clés de l’intrigue sans avoir la peine de se creuser la cervelle. Si l’histoire aurait gagné a être plus stylisée et plus opaque, elle n’en a pas moins de nombreux charmes. Comme les rebondissements ingénieux d’un récit complexe et bien construit, une poursuite Volvo-moto bien menée dans Montréal, ou la juxtaposition des différents milieux sociaux, parfois trop clichés: la petite bourgeoisie (banlieue, barbecue et robes fleuries), la mafia russe (costumes clinquants, cheveux en brosse et argent sale), les bouseux de l’Arkansas (bières, guns et regards de dingues), et le felquiste militant urbain, vieux loup solitaire et has-been, auquel Poulin offre toute sa générosité et sa sensibilité. Serge Houde en dangereux shérif et Lorne Brass en inspecteur machiavélique font aussi merveille. Et Picard est un excellent guide dans cette descente aux enfers qui menace de déraper à chaque instant.
Normal que ce dernier se sente à l’aise dans le genre, lui qui a eu le coup de foudre cinéma à douze, treize ans avec les Godfather, French Connection, Dog Day Afternoon et autres Taxi Driver: «Je me refaisais des scènes entières de Pacino dans Le Parrain dans mon salon. Toutes les répliques.» Poussant plus loin dans les rôles sombres, Picard aimerait jouer un jour «la petite vermine», le bum, voire le psychopathe éventuel. Parce que, dit-il, «on ne connaît pas nos rues». Jolie formule pour décrire son envie de participer à un cinéma d’aujourd’hui, urbain et naturaliste. Ce qui n’empêche pas l’exploration de contrées inconnues. Au théâtre, dans Lorenzaccio, Picard plonge dans le romantisme jusqu’au cou, et à la télé, on le découvrira en extraverti tonitruant dans Chartrand et Simonne. «Il faut toujours ramener tout à soi pour être sincère. Avant le style, il faut être vrai. Avant de jouer Michel Chartrand, il fallait que je sois un vrai syndicaliste. Avec ce rôle, j’ai appris le plaisir de jouer quelqu’un de large. Très plaisant, quasiment théâtral. J’admire des performances excessives parfois, comme celles de Joe Pesci. Ça marche, mais il faut l’audace.»
Le dilemme cinéma, théâtre ou télé ne se pose pas. Si le théâtre lui a demandé un temps d’adaptation, la caméra le rassure; «mais si tu peux avoir la grosse tête avec le cinéma – où on prend tellement soin de toi – , le théâtre garde honnête, et la télésérie est une belle consolation. En fait, j’ai de la chance de participer à des choses que je peux endosser», dit-il dans un sourire. Depuis deux ans, Picard – qui se dit paresseux – n’a pas arrêté. Aujourd’hui, les projets restent dans le flou, selon son bon vouloir, malgré du théâtre en vue et, pourquoi pas, de la réalisation. Mais, après Lorenzaccio, sonne le temps des vacances, où, dit-il, «j’écris un petit peu, je vis et je promène mon chien»!
Dès le 26 mars
Voir calendrier
Cinéma exclusivités