Et si la «réalité» que vous croyez vivre aujourd’hui n’était en fait qu’un programme d’ordinateur, conçu en 2199 par des machines qui auraient vaincu l’humanité à l’aube du 21e siècle, et qui auraient créé le monde dans lequel vous pensez vivre dans le seul but de vous maintenir sous l’emprise d’un super-ordinateur (La Matrice), pour lequel vous ne seriez plus qu’une «source de bioénergie»?
Telle est l’idée saugrenue, assez originale et plutôt marrante servant de point de départ à The Matrix – un film fantastique de 80 millions de dollars, écrit et réalisé par Andy et Larry Wachowski (les coréalisateurs de Bound), qui est l’exemple parfait du genre de film capable de mettre en place une prémisse accrocheuse et potentiellement très riche, mais qui se révèle incapable de la développer de manière soutenue et satisfaisante.
De fait, l’histoire de ce jeune informaticien (Keanu Reeves), recruté par un révolutionnaire venu du futur (Laurence Fishburne) pour l’aider à détruire «La Matrice», ressemble moins à un récit qu’à une série de clips inspirés par une douzaine de films. Nos héros voyagent entre les époques à bord d’un vaisseau qui ressemble étrangement au Nautilus de Jules Verne; leurs excursions au ralenti entre le présent et le futur évoquent curieusement Orphée (le personnage de Fishburne s’appelle même Morpheus!); et leurs batailles avec les méchants (des Men in Black, évidemment!) semblent tout droit sorties des classiques du cinéma de Hong Kong, comme Histoires de fantômes chinois.
Ajoutez quelques références à Lewis Carroll (Alice au pays des merveilles), une ou deux créatures empruntées au bestiaire de David Cronenberg et un peu de philosophie orientale apprêtée à la sauce judéo-chrétienne, et vous commencerez à avoir une idée de l’incroyable mélange – à mi-chemin entre la science-fiction, le film de kung-fu, la bande dessinée mythologique pour ados et le biscuit chinois – qu’offre le scénario de The Matrix.
Si les frères Wachowski n’ont pas beaucoup de talent comme scénaristes, ils en ont en revanche beaucoup comme metteurs en scène. Surtout lorsqu’ils s’attaquent aux scènes de bagarres (extraordinairement bien réglées par Yuen Wo Ping, un des spécialistes du cinéma de Hong Kong), qui atteignent des sommets inégalés dans les films américains; ou lorsqu’ils utilisent des effets spéciaux, en particulier un procédé appelé bullet-time photography (d’abord exploité dans une célèbre pub de Gap), qui permet d’immobiliser le mouvement d’un personnage en plein vol, tout en modifiant simultanément l’angle sous lequel il est filmé.
Cette rencontre d’une technique hyper-maîtrisée et d’un scénario archi-débile aboutit à un film schizophrène qui suscite une double impression: ébloui par les prouesses techniques du film et par son invention visuelle, mais aussi abruti par la bêtise de son scénario et son matraquage sensoriel.
Passant allègrement du sublime (visuel) au ridicule (narratif), The Matrix nous laisse donc avec le souvenir d’un film qui déploie, tout comme ses personnages, des efforts considérables (et souvent impressionnants) pour tenter d’échapper à la «matrice» d’un scénario qui l’avait malheureusement condamné d’avance.
Voir calendrier
Cinéma exclusivités