Cookie’s Fortune : Quelle histoire!
Depuis plus de 40 ans qu’il fait du cinéma, Robert Altman a appris deux ou trois choses sur son métier. Sans être un cours de maître, Cookie’s Fortune fait bien la preuve du savoir-faire de celui qui, toujours dans le même style, a signé autant d’excellents films (MASH, Nashville, The Player, Streamers, Short Cuts) que de décevants (Popeye, Beyond Therapy, Prêt-à-porter). Des histoires bien placées dans un milieu donné, un cynisme vivifiant, des intrigues entremêlées, une mosaïque de personnages, une prédilection pour la musique et les personnages excentriques: Altman a son style bien à lui, et, comme avec Woody Allen, les acteurs accourent dès qu’il appelle. Ce qui est arrivé pour Cookie’s Fortune, un film délicieux dans lequel une distribution impeccable s’éclate.
Holly Springs est un village du Mississippi où il ne se passe jamais rien. Jusqu’à ce que Cookie (Patricia Neal), une très vieille dame indigne, soit apparemment assassinée. Willis (Charles S. Dutton), son homme de main, presque son fils, aimé de tous, est soupçonné, tandis que la nièce de la défunte, Camille (Glenn Close), prend possession de la maison, alors qu’elle monte Salomé, d’Oscar Wilde, à l’église du coin, avec une troupe d’amateurs, dont sa sour Cora (Julianne Moore) qu’elle domine totalement. La galerie de personnages ne s’arrête pas là: il y a Emma (Liv Tyler), la fille délurée de Cora, de retour au pays; un jeune flic maladroit (Chris O’Donnell); un autre (Ned Beatty), ami de pêche du suspect; un avocat local (Donal Moffat) qui joue Hérode; un marchand de poisson (Lyle Lovett), amoureux d’Emma; un détective ahuri (Courtney B. Vance); une chanteuse de blues (Ruby Wilson). Suspicions, jalousies, secrets connus de tous et tus: le silence, hypocrisie et complicité mêlées, est le ferment de la survie des villages pittoresques…
On ne retrouve pas dans Cookie’s Fortune la virtuosité de The Player ou l’efficacité de Short Cuts, mais c’est un film qui remet au goût du jour le plaisir de se laisser raconter une histoire. Le scénario habile d’Anne Rapp mêle adroitement ses fils, et Altman les dénoue avec bonheur. Difficile de ne pas comparer le ton de ce film qui prend son temps à la torpeur moite des rives du Mississippi, à la langueur du blues du Delta, aux méandres des rivières du Sud, et leurs eaux dormantes où se lovent alligators et autres charmantes créatures. Si Altman peut être virtuose (voir le fameux plan d’ouverture de The Player), il y a toujours une certaine indolence jouisseuse dans son cinéma qui, mal utilisée, donne des films lâches et un peu bâclés.
Lorsqu’elle sert le propos, elle permet au cinéaste de saisir une ambiance, de faire vivre un personnage, de laisser une situation se dérouler jusqu’à son dénouement. C’est le cas ici, alors que le vieux renard tisse sa trame, prend un malin plaisir à s’attarder sur une scène, et savoure ses acteurs comme des friandises. Revoir Patricia Neal (Oscar d’interprétation en 63 dans Hud, aux côtés de Paul Newman) est un plaisir rare, Liv Tyler est excellente, mais c’est Charles S. Dutton qui constitue le cour du film, digne sans raideur, la bonté incarnée sans une once de mièvrerie.
On pourrait dire que Glenn Close nous refait le coup de la méchante, et qu’elle en fait trop dans sa scène finale; que le rôle de Lyle Lovett est quasi inexistant, et que Julianne Moore est gaspillée dans ce rôle qui lui demande d’être éteinte. On pourrait dire tout ça, mais ce serait passer à côté d’un des films les plus réjouissants du moment.
Dès le 16 avril
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