Cinéma

eXistenZ : Le choc du futur

Cinéaste éminent du doute et de la déraison, DAVID CRONENBERG questionne le réel à la manière de Platon: nos sens nous trompent-ils?

Autant le dire tout de suite: si la bande-annonce d’eXistenZ _ une cascade d’images-chocs, déferlant sur une musique techno _ semble promettre un de ces «tours de montagnes russes» si chers aux films sur la réalité virtuelle, le dernier Cronenberg n’a rien à voir avec les grosses machines à sensations fortes du style de Total Recall, Strange Days ou The Matrix.

Là où ces films nous ont habitués à des environnements futuristes, des gadgets high-tech, et un bombardement perpétuel des sens, Cronenberg nous offre le décor d’une campagne apparemment paisible, l’exotisme d’une poignée de créatures bizarres, et une esthétique qui joue sur le malaise et la distanciation. Là où le reste du genre nous propose des scénarios exploitant de façon attendue l’opposition de l’illusion et de la réalité, le film de Cronenberg nous plonge dans un labyrinthe narratif où il semble prendre plaisir à nous faire tourner en rond. Là où ces films cherchent à nous divertir, Cronenberg creuse un malaise qui nous amène à douter de tout, et à ne plus rien tenir pour acquis.

De fait, l’histoire de cette conceptrice-vedette de jeux vidéo (Jennifer Jason Leigh), qui part se réfugier dans sa dernière création au moment où elle devient la cible d’une fatwa digne de celle lancée contre Salman Rushdie, nous entraîne dans des directions souvent étonnantes et imprévisibles. Certes, le film reprend les sujets clés du cinéaste (notre rapport à la chair, au monde, et à tout ce qui peut en altérer notre perception), et il le fait en explorant deux notions chères à l’auteur de Naked Lunch: l’idée que l’être humain crée sa propre réalité, et celle que la création est un acte dangereux pour le créateur. Mais il est clair que ce qui semble avoir d’abord été conçu comme un film de genre, dans la lignée commerciale de Scanners et de Videodrome, est vite devenu une réflexion intime sur le rapport de la société à l’artiste et à sa création: un film sur la place de l’artiste dans un monde qui met maintenant sa tête à prix; une méditation sur le sens de la création à une époque où elle doit de plus en plus justifier son existence; un film qui renvoie constamment les spectateurs (de façon suicidaire, mais extrêmement audacieuse) à la question de leurs propres attentes face à une ouvre.

«Le jeu, explique le personnage de Jennifer Jason Leigh, ne peut donner que ce que vous y apportez.» Remplacez «jeu» par «film», et vous verrez qu’eXistenZ (où il est question de budgets et de marketing, de tests de consommateurs et de réactions du public) est, entre autres choses, la méditation angoissée et étonnamment drôle _ car l’humour naît souvent de l’angoisse _± d’un auteur qui s’interroge sur la difficulté de faire du cinéma aujourd’hui; une méditation complexe, tortueuse et déroutante, qui pose des questions auxquelles elle ne veut surtout pas donner de réponses.

Stérile, et métaphorique comme tous les jeux, eXistenZ est donc un objet sans but, impénétrable et déroutant, qui semble prendre plaisir à nier l’idée même qu’il doive avoir un sens. Bref, l’exploration ludique, mais frustrante, d’une vision dont les thèmes et l’univers s’articulent, cette fois, autour de l’approfondissement d’un malaise. Existentiel.

Dès le 23 avril
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