Les Casablancais : Portrait de groupe
Première coproduction entre le Canada, la France et le Maroc, Les Casablancais, d’ABDELKADER LAGTAÂ, voit grand en voulant tracer un portrait de société à travers le parcours de plusieurs personnages. Et se perd en cours de route…
Présenté en première nord-américaine dans le cadre de Vues d’Afrique, Les Casablancais, d’Abdelkader Lagtaâ, impose d’emblée le respect par son ambition d’aborder un sujet important et difficile (les tensions internes qui tiraillent la société marocaine) à travers une forme (un scénario entremêlant simultanément trois histoires) aussi risquée et complexe que le sujet abordé.
Cette ambition admirable constitue d’ailleurs la principale qualité de cette première coproduction Canada-France-Maroc, qui impressionne davantage par ses visées idéologiques et narratives que par ce qu’elle accomplit vraiment, et qui brille moins par le brio de sa mise en scène que par l’habileté de son scénario.
Entremêlant – un peu à la manière de Pulp Fiction ou Before the Rain – trois histoires plus ou moins parallèles qui finissent par se rejoindre, Lagtaâ décrit la réalité des Casablancais à travers le parcours de plusieurs personnages. D’abord, Mostafa (Abdelaziz Saâdallah), un libraire apparemment moderne, à l’esprit ouvert, dont la vie est brièvement bouleversée, et dont la famille est profondément secouée, lorsqu’il croit recevoir une convocation de police qui s’adresse en fait à son voisin. Puis, Saloua (la Montréalaise Karina Aktouf), une jeune institutrice dont le départ pour Paris est compromis par les mensonges que des hommes jaloux se mettent à colporter au mokaddem local (Salah Eddine Benmoussa), responsable de l’obtention de son passeport. Et enfin Omar et Latifa (Mohamed Habarman et Amine Kably), les parents d’un petit garçon sous l’influence d’un instituteur intégriste, qui tente de les ramener dans «le droit chemin», avec des conséquences qui s’avèrent presque désastreuses.
Les Casablancais s’attaque de front à des sujets aussi graves que risqués: les abus de pouvoir des autorités constituées, et la manière dont elles peuvent vite faire reculer les progrès sociaux et culturels; les effets des rumeurs, des désirs inavoués et de l’obscurantisme dans une société où les libertés individuelles sont parfois à la merci des phobies collectives; et la manière dont le conditionnement des esprits par le fanatisme peut vite diviser une famille ou un pays.
Ces thèmes (et beaucoup d’autres) sont abordés par Lagtaâ d’une manière extrêmement cohérente, à travers des scènes en huis clos (surtout dans le premier sketch) et des motifs récurrents (le voyeurisme, la trahison), qui traduisent sa vision d’un monde en forme de prison, où règnent l’obéissance à la tradition et la peur de l’Autre. Toutefois, malgré sa grande ambition et sa capacité à véhiculer dramatiquement des idées complexes, le film s’éparpille souvent, et ne parvient pas toujours à soutenir l’intérêt. Comme si, à force de vouloir rendre justice à tous les personnages et à leur point de vue, Lagtaâ n’avait pas su mettre en relief les éléments cruciaux d’un scénario complexe, et donner au film une personnalité originale et distincte.
Du coup, on regarde ce film – élégamment photographié par Michel La Veaux et mis en musique par Robert Marcel Lepage – comme l’illustration intelligente et appliquée d’une thèse intéressante mais attendue, que l’on admire parfois, mais qui ne passionne jamais. Peut-être parce que Lagtaâ n’a pas su exploiter les personnages qui auraient pu donner une autre dimension à son film (comme le mokaddem, étrange fonctionnaire local, à mi-chemin entre la commère de quartier, le père confesseur et le maître chanteur), ou peut-être parce qu’il n’a pas su explorer davantage la veine comique qui pointe timidement (mais constamment) sous sa démonstration angoissée, et qui aurait pu donner au film un ton plus singulier.
Ajoutez une fin ambiguë et peu convaincante, qui ne semble pas vouloir assumer la conclusion où l’amenaient les scènes précédentes, et vous avez un film soigné, mais un peu fade, qui ne semble malheureusement pas toujours avoir le courage (esthétique, plus que politique) d’aller jusqu’au bout de ses convictions. Bref, un film à thèse dont la thèse est défendue avec rigueur et application, mais sans l’inspiration ou l’énergie qui auraient pu la rendre vraiment intéressante.
Dès le 30 avril
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