Election : École de perfectionnement
Malgré ce que son affiche et la présence de MTV au générique pourraient vous faire craindre, Election n’est pas – mais alors là, pas du tout… – une de ces comédies pour ados, tellement à la mode en ce moment. Au contraire: ce second long métrage d’Alexander Payne (Citizen Ruth) est l’un des films américains récents les plus adultes, les plus complexes et les plus intelligents que l’on ait pu voir depuis Happiness, et, avant cela, depuis très longtemps. C’est une réflexion mordante, riche et émouvante sur les paradoxes de l’Amérique, qui évoque, sans jamais les plagier, l’esprit des premiers films d’Altman, des frères Coen et de Kubrick.
De quoi est-il question au juste: eh bien, disons, pour commencer, de politique et de sexe, d’éthique et de morale, de pouvoir et d’impuissance. Le tout, à travers le prétexte, d’une simplicité aussi trompeuse que désarmante, d’une élection scolaire à laquelle personne ne semble s’intéresser…
Tracy Flick (Reese Whiterspoon) est la «petite parfaite» d’un high school typique d’Omaha. Dirigeante de ceci et meneuse de cela, Tracy décide de briguer le poste de présidente de son école. Mais la détermination souriante de ce Terminator en jupette, a vite fait d’exacerber la rancune de Jim McAllister (Matthew Broderick), un professeur frustré qui en veut confusément à cette petite dame de fer depuis qu’un de ses collègues a perdu son poste après avoir eu une liaison avec elle. Décidé à tuer dans l’ouf ce monstre d’ambition (il compare sa chance à celle d’éliminer un futur Hitler!), Jim décide de manouvrer pour lui opposer un candidat de taille: un joueur de football niais mais irrésistible (Chris Klein), dont la sour lesbienne et impopulaire (Jessica Campbell) décide elle aussi de s’inscrire comme candidate. Il n’en faudra pas plus pour transformer une petite élection anodine en un scandale qui prendra vite les proportions de l’affaire Lewinsky…
La rumeur veut que Tom Perrota, l’auteur du roman sur lequel Election est basé, ait été inspiré par deux événements précis: l’histoire d’un directeur d’école sudiste qui avait renversé l’élection d’une reine de bal de fin d’année parce qu’elle était enceinte; et la manière dont la candidature-surprise de Ross Perot est venue brouiller les cartes pendant la campagne présidentielle de 1992. Ce qui impressionne d’emblée, dans Election, c’est moins la portée du discours (extrêmement intelligent et subtil) que la manière dont Payne et son coscénariste, Jim Taylor, sont arrivés à en exprimer subtilement les nuances; entremêlant, avec une rare habileté, les points de vue et les narrations consécutives des quatre personnages principaux, au fil d’un traitement tantôt réaliste, tantôt fantaisiste, et qui aborde, de manière souvent drôle, parfois triste et quelque fois étonnamment mélancolique, les vies privées et publiques de tous les protagonistes.
Beaucoup plus soutenu, ambitieux et maîtrisé que Citizen Ruth (dont il reprend, par ailleurs, plusieurs préoccupations), Election est un film mordant et jouissif d’un pessimisme tonique et éblouissant. Un film d’auteur, d’une audace, d’une intelligence et d’une maturité si extraordinaires qu’on se demande presque par quel miracle il a pu s’échapper de la machine hollywoodienne…
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