Daniel Langlois : À la conquête de l'espace
Cinéma

Daniel Langlois : À la conquête de l’espace

Signets à venir

Avec Ex-Centris, Daniel Langlois vient de doter Montréal d’un centre de production et de diffusion avant-gardiste et unique au monde pour le cinéma d’auteur de demain. Révolution annoncée.

«Construire un building, c’est comme faire un film: t’amènes les gens à se surpasser», dit Daniel Langlois dans le superbe hall de son nouveau complexe du boulevard Saint-Laurent. Le fondateur de Softimage, conquérant de la 3D et du virtuel, celui-là même qui aura permis à Hollywood de créer les bêtes de Jurassic Park et les effets spéciaux de Titanic, dirige, cette fois, les travaux de construction d’un univers tridimensionnel bien concret, celui du complexe Ex-Centris, qui ouvrira ses portes au public le 2 juin prochain, avec Magnifico, quatre jours de films, vidéos et performances multimédias entièrement gratuits (voir pages 6 et 7).

Dédié à la diffusion du cinéma indépendant et des nouvelles technologies numériques, Ex-Centris est un complexe d’avant-garde doté de trois salles de projection multifonctionnelles équipées à la fine pointe de la technologie. Pour court-circuiter l’industrie hollywoodienne, qui contrôle presque tous les écrans à Montréal, son centre est prêt pour la prochaine révolution de l’image numérique à haute définition, et pour diffuser les ouvres cinématographiques directement du producteur au consommateur, voyageant par satellite et par Internet parallèlement aux réseaux traditionnels de distribution.

Le premier multimillionnaire québécois des logiciels trône dans son nouveau royaume du high-tech, et goûte à la passion des espaces, de la lumière et de l’architecture. «Je suis fasciné par la transformation des espaces, fasciné par le fait que cet espace où nous nous trouvons en ce moment ait toujours existé, dans le vide, dans les airs, et qu’après un effort, un désir, tu l’habilles et tu vas l’habiter à un moment précis. C’est extraordinaire, en tant qu’humains, qu’on ait une conscience aussi physique des espaces. Et Ex-Centris, c’est un peu comme de la gourmandise: j’aime sentir la lumière, les espaces, et je veux maximiser cet effet-là tout le temps.»

Le feeling, l’ivresse, Langlois en est avide. Fils d’une famille pauvre «mais riche intellectuellement», il décide, à 18 ans, de gagner de l’argent et de s’en servir pour réaliser ses «idées de fou». «L’argent n’a pas changé ma vision du monde, dit-il. Ce que l’argent a changé, c’est la capacité de ne pas seulement rêver, de ne pas juste triper, mais de réellement influencer mon environnement, ma vie et celle d’un paquet de gens qui m’entourent.»

Culture d’entreprise
En plus d’investir dans une quinzaine de compagnies, de diriger Media Principia, consacré à la production d’ouvres cinématographiques, d’investir dans l’immobilier par le biais de son entreprise Terra Incognita, et de faire fortune sur les marchés boursiers («qui sont devenus complètement fous»), Daniel Langlois joue au mécène par le biais de la Fondation Daniel Langlois, qui décerne des bourses, totalisant plus d’un million de dollars par année, à des projets artistiques explorant les nouvelles technologies, ainsi qu’à travers un nouveau club privé dans le Vieux-Montréal, où il accueillera les riches de ce monde pour les sensibiliser à l’avant-garde culturelle. «Dans le milieu des affaires, très peu de gens sont sensibilisés à la culture, et sont prêts à s’exposer à des choses différentes et nouvelles. C’est là où je suis complètement différent. Je pense qu’il y a des gens comme moi qui apparaissent ici et là, et je ne serai pas tout seul; enfin, j’espère! Je pourrais avoir cinq jets Challenger dans ma cour, que ça ne changerait rien à mon compte en banque. Mais ce n’est pas ça qui m’intéresse.»

Seul dans son bureau au sommet du complexe Ex-Centris, l’artiste-homme d’affaire est parti en mission: créer un contexte pour la diffusion et la production du cinéma d’auteur, et profiter d’une brèche laissée vacante par le cinéma hollywoodien. «Une fenêtre s’ouvre pour le cinéma indépendant, et elle est associée au réseau de distribution. Le réseau de distribution est actuellement entièrement en 35 mm, et les majors américains n’iront pas vers la production purement numérique tant qu’il n’y aura pas un parc de salles assez grand pour les diffuser et les distribuer. C’est donc le temps d’ouvrir cette fenêtre le plus vite et le plus grand possible pour pouvoir exposer une autre vision du monde au plus vaste auditoire possible.» Après Montréal, Langlois entend construire un centre semblable à New York, puis dans d’autres villes du monde.

Pour attirer des gens dans ses salles et pour faire compétition aux films américains dotés de budgets de marketing faramineux, le multiplexe promet une expérience totale, de ses salles high-tech jusqu’à un café-restaurant ouvert jusqu’aux petites heures du matin, et des boutiques. «Mais Ex-Centris, c’est plus que du béton, c’est avant tout un lieu de diffusion et de support à la production. C’est un lieu, un espace, un endroit de rencontre pour discuter de technologies, pour les produire et pour les voir.» D’ailleurs, de nombreux organismes dédiés aux nouvelles formes d’art, tel le Festival du nouveau cinéma et des nouveaux médias (FCMM), occupent déjà des bureaux dans le centre qui a coûté la rondelette somme de 35 millions de dollars.

Daniel Langlois rêve de redonner le pouvoir aux réalisateurs grâce aux nouvelles technologies numériques, permettant la réduction des frais de production et du nombre de personnes nécessaires à la réalisation d’un film. Ex-Centris est d’ailleurs doté de studios de montage numérique et d’effets spéciaux pour les ouvres qui expérimentent avec les nouvelles technologies. «Même si ce sont les meilleurs systèmes de postproduction au monde, ils ne seront pas disponibles pour la création d’ouvres commerciales ou de publicités, assure Daniel Langlois. C’est un laboratoire de développement, et l’idée, c’est de donner accès à ces outils, à des prix raisonnables, à des productions explorant les nouvelles technologies pour la création de longs métrages d’auteur.»

En regardant de près Ex-Centris, on ne peut s’empêcher de le comparer à l’ONF des premières années, grâce auquel toute une génération de cinéastes a pu explorer le cinéma. «Ex-Centris, ce n’est pas l’ONF, mais c’est tout de même une analogie intéressante. L’ONF a été créé dans un contexte de recherche et d’exploration. Une petite équipe, quelques personnes se sont dit: "De quels outils a-t-on besoin pour réussir à faire ce qu’on veut, et qui serait unique au monde?" Et c’est là qu’Ex-Centris est similaire. Pour le reste, c’est complètement différent parce que la réponse à cette question est totalement différente, aujourd’hui. Le problème de l’ONF, c’est que beaucoup de gens qui s’y sont joints par la suite n’ont jamais compris cette vision. L’ONF est devenu simplement un paquet d’infrastructures, et il est donc voué à mourir. Avec Ex-Centris, il est possible que ça se transforme en autre chose, mais j’espère vivre assez longtemps pour être capable de le faire évoluer vers un deuxième et un troisième cycle.»

Prochain épisode
On dit souvent de Daniel Langlois qu’il vit déjà dans le prochain millénaire. Mais, à force de jouer au visionnaire, il prend le risque de se tromper. La révolution numérique balaie tout sur son passage, transformant les arts d’aujourd’hui en de nouvelles formes d’art. Daniel Langlois, en construisant un centre cinématographique, s’est-il fourvoyé, de la même façon que certains bâtirent d’énormes opéras à la fin du siècle dernier, ne se doutant pas que le cinéma, qui attirait alors les badauds dans des coins de rues mal famées, allait devenir l’art le plus populaire du XXe siècle?

«Il y a de très grandes différences entre l’opéra et le cinéma. Le cinéma a toujours eu, depuis ses premiers jours, un mass appeal que l’opéra n’a jamais eu. Que les salles elles-mêmes disparaissent, c’est possible; mais que le cinéma disparaisse, ce n’est pas possible. Le cinéma est une expérience qui se passe en groupe, que ça soit en salles, qu’il soit distribué dans des réseaux, mais toujours avec une qualité de présentation qu’on ne peut atteindre dans le contexte habituel de la maison. L’important, en ce moment, c’est de le faire parce que des gens se déplacent vers ces salles pour voir, malheureusement, en général, de la cochonnerie. Mais ils y vont parce qu’ils ont besoin d’une expérience unique qui les sorte de leur quotidien, qui les lance dans l’imaginaire, et tant mieux si on peut leur fournir un peu de philosophie et de vision du monde à travers ça.»

Pourtant, certains médiums interactifs, tels les jeux vidéo, ont, aujourd’hui, des revenus tout aussi élevés que les films hollywoodiens_ «Je ne suis pas intéressé aux jeux vidéo en tant que tels (qui sont trop enfantins), mais aux technologies associées aux jeux vidéo parce que je pense qu’elles vont rendre possible la création d’ouvres interactives sur Internet. Toute la recherche qui se fait dans ce sens-là va nous permettre de produire des images de haute qualité sur des réseaux globaux, et elles vont devenir le nouveau cinéma. Ça va peut-être prendre trois ans à partir de l’ouverture d’Ex-Centris avant que ce genre d’ouvres existent. Mais, sans des lieux comme Ex-Centris, ça prendrait peut-être dix ans.»

Dans l’énorme hall d’entrée d’Ex-Centris, Daniel Langlois discute avec les ouvriers qui s’affairent jour et nuit à apporter les dernières touches à son nouveau complexe né de son appétit insatiable pour les espaces. La lumière naturelle traverse le long corridor, créant un éclairage inhabituel sur l’homme toujours vêtu de noir. «Le noir absorbe tout, dit-il, et je suis prêt à tout pour écouter les bonnes idées et les nouvelles perspectives qui arrivent de partout. Et l’art, c’est la capacité de donner une perspective nouvelle à un sujet qui existe déjà.»

Qu’on l’aime ou pas, cette cathédrale millénariste, qu’il a presque entièrement dessinée lui-même, est un véritable incubateur, une chambre noire futuriste où se développera une nouvelle chimie entre les arts et les nouvelles technologies. En se promenant dans ces aires ouvertes, destinées à être vivantes, dans un bouillonnement d’idées et de gens, on ne peut s’empêcher de croire, inévitablement, qu’une nouvelle perspective vient de s’ouvrir sur la magie cinéma, et sur tous les arts de la lumière et de l’espace.

Ouvert dès le 2 juin
Rendez-vous sur notre site Internet pour consulter des liens proposés par Daniel Langlois (à venir)