Urgence! Deuxième SouffleTahani Rached : L’écran humain
Avec Urgence! Deuxième Souffle, TAHANI RACHED donne la parole aux infirmières. Ça donne un film terrible, émouvant et même, parfois, drôle. Rencontre avec des femmes extraordinaires.
«Pendant le tournage, je me demandais tout le temps: "Mais comment font-elles?" Elles sont faites fortes. Je ne pourrais jamais faire ce qu’elles font.» Menue, mais énergique, Tahani Rached dégage pourtant une force intérieure, un enthousiasme, et une détermination que lui envieraient bien des gens. Cette question, la cinéaste se l’est posée tout le long du tournage d’Urgence! Deuxième Souffle: Comment font-elles, ces infirmières, pour tenir le coup, être compétentes, efficaces, rapides, aimables au milieu de ce maelström qu’est une urgence d’hôpital? Les 90 minutes de ce film terrible et émouvant apportent un élément de réponse. Terrible, parce qu’on sent vraiment de l’intérieur la pression surhumaine que subissent ces femmes trop peu reconnues. Émouvant, parce qu’en dépit de tout, elles restent profondément humaines, et trouvent même le moyen d’être drôles!
«Avec les enseignants, les infirmières font un des derniers métiers où il est question de l’être humain. Alors qu’aujourd’hui, il n’est question que d’argent, je voulais savoir comment ce rapport était vécu. Je me suis dit que là où je pourrais le saisir et le comprendre, c’est auprès des infirmières.» Pendant deux mois, la réalisatrice d’Au chic Resto Pop, de Médecins de cour et de Quatre Femmes d’Égypte a donc suivi une équipe de soir, à l’urgence du Centre hospitalier Pierre-Boucher, à Longueuil. Avec Jacques Leduc à la caméra, elle a vécu avec elles; elle a recueilli leurs propos à chaud, leurs confidences et leurs récriminations; elle a capté, jour après jour, leur humour, leur compassion, leur colère et leur amour d’un métier qui tient de la vocation. Sur la ligne de front, la cinéaste a atteint une rare intimité avec ces femmes dans le feu de l’action, une proximité qui, comme tous les travaux d’approche, a pris du temps. «Les infirmières sont des femmes qui doivent se contrôler, ça fait partie de leur travail, il faut toujours qu’elles soient au-dessus de leurs affaires; donc au début, ça allait bien, mais elles ne se confiaient pas vraiment. Et puis, ça prend du temps pour rentrer dans une équipe aussi soudée. Mais, une fois qu’elles m’ont accordé leur confiance, elles ont été très généreuses.»
La belle équipe
Alors qu’au départ, Tahani Rached avait en tête une série sur la santé, elle a choisi de s’en tenir, pour toutes sortes de raisons, aux infirmières. Mais, même dans ce cadre-là, n’a-t-elle pas eu la tentation de montrer leurs vies en dehors de l’hôpital? «Je l’ai fait, mais je l’ai coupé parce que le personnage principal, c’est l’équipe. Et puis, il y avait aussi une question de durée: là, elles existent toutes avec leurs caractères, elles ne sont pas qu’effleurées.» Et quels caractères! Il faut voir Louise Lemay et Marie-Jeanne Gignac se démener; il faut entendre Nicole Beaupré lire un texte de son cru; et Jocelyne, Francine, Odette, Line et les autres exister avec force et énergie. «J’ai choisi l’urgence, parce que ça bouge beaucoup, explique la cinéaste. Elles ont d’énormes connaissances médicales, mais c’est jamais dissocié de l’humanité, jamais déconnecté. Et puis, les filles qui travaillent là ont des tempéraments un peu plus rebelles, elles parlent plus librement.»
Et elles parlent, ces femmes qui forment plus de 90 % de leur profession. Elles parlent de tout – des coupures, du stress, de leurs espoirs, de leurs craintes – , mais pas du fait, par exemple, qu’elles ont un niveau de scolarité équivalent à celui des policiers, et un salaire, bien sûr, inférieur. À l’ère de l’équité salariale, la profession serait composée à 90 % d’hommes que la situation serait certainement fort différente. Pourquoi l’absence de cet aspect-là dans les discussions? «Ce serait là si j’avais eu un personnage qui l’aurait porté de façon très marquée, mais c’était pas là aussi fort que les coupures, par exemple. Les conditions de travail revenaient toujours dans les discussions quotidiennes. Bien sûr qu’elles aimeraient être mieux payées, mais être reconnues et respectées, ça revenait tout le temps.»
Maudite machine!
«Au Québec, il y a une infirmière dans chaque famille, ou à peu près, affirme Tahani Rached. Avec ce film, je voulais savoir comment vivent ces femmes qu’on aime.» On les aime peut-être, mais avec 40 % des infirmières qui souffrent de stress et de fatigue graves, et des coupures dans le personnel qui, en dehors de l’aspect financier, laissent des équipes démembrées, réduites et démoralisées, on se demande où vont se faire soigner ces messieurs du Parlement. Pourtant, jamais les infirmières d’Urgence! Deuxième Souffle ne sont aigries. «Elles aiment profondément leur métier. Jacques Leduc est sorti du tournage admiratif, et étonné que ces femmes-là ne soient pas dures ou amères. Ç’a été une découverte fantastique. Des fois, tu te demandes où tu t’en vas, et si ce que tu fais sert à quelque chose. Et puis, tu vois ces femmes qui, à leur façon, résistent à la crisse de machine. Je trouve ça beau et inspirant. J’ai une admiration sans bornes pour elles.»
Bien qu’une tension soutenue se dégage des séquences tournées à l’urgence, vous ne verrez pas de sang ou d’accident dans ce film qui se tient loin d’un certain voyeurisme télévisuel. Hormis les quelques scènes tournées en studio, plus détendues (et même parfois franchement comiques), l’effet claustrophobique de ce voyage au cour du volcan donne son poids dramatique à ce film qui, pour reprendre la remarque d’une amie de la réalisatrice, évoque un «Das Boot sur la Rive-Sud»!
Il y a, dans Urgence! Deuxième Souffle, les mêmes qualités qu’on retrouve dans tous les films de Tahani Rached: un regard plein de compassion, mais qui évite la complaisance; ainsi qu’un profond respect des gens qu’elle filme, et à qui elle donne la parole. «Un film, pour moi, s’adresse d’abord à l’émotion. Tu mets en scène des gens, et les images et les sons passent par les yeux et les oreilles avant de te rentrer dans la tête. Je fais des films sur des gens qui ont quelque chose à dire et à partager. Le plus beau compliment qu’on puisse me faire, c’est de me dire que je fais des films qui aident à mieux vivre.»
Jusqu’au 9 juin
Au Cinéma ONF
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