Certaines histoires d’amour passent au grand écran, d’autres, moins. Question de chimie, d’écriture, de gueules et d’époque. Pour les gueules, Nathalie Baye est un plaisir à revoir, rayonnante dans sa cinquantaine, fine, et toujours à fleur de peau. Daniel Duval est parfait aussi, intense dans le rôle de ce qu’on appelait, avant l’ère de la rectitude politique, un beau métèque. Il campe un ange noir, une bête de sexe, un être d’une violence non retenue.
Pour le reste, Si je t’aime… Prends garde à toi, le film signé Jeanne Labrune (La Part de l’autre, Sans un cri), fait partie de ces échanges graves qui, dans un univers cinématographique où l’amour est souvent teinté d’humour et de légèreté, prennent le sentiment amoureux très au sérieux. Il est le rabat-joie au milieu des fêtards. L’amour-passion, c’est beau, c’est tragique, c’est grand, mais ça peut faire des films très ennuyeux.
Samuel rencontre Muriel dans le train vers Mulhouse. Il est vendeur de tapis, joueur, sans attaches et chroniquement fauché; elle est écrivain-scénariste, libre et fière de l’être, et elle sort d’une belle histoire d’amour. Cette nouvelle relation est entamée violemment sur le mode sexuel, sexe exposé sans effets de feu de cheminée romantique. Il n’a que l’amour à offrir; elle demande un minimum de respect et de confiance. Il l’entraîne sur le mode physique, elle résiste sur le mode intellectuel. Ils s’envoient leurs quatre vérités et quelques coups de poings au visage. Elle le quitte, pour ne pas finir en statistique de crime passionnel. Outre cette petite échappée de dernière minute, on peut difficilement faire plus simple.
On découvre cependant une autre façon d’aborder le couple. Comme Isabelle Huppert dans L’École de la chair, le rôle de Nathalie Baye est un pivot. Dans le film de Benoît Jacquot, le gars était la minette; dans Si je t’aime…, Samuel est hystérique, qualificatif communément attribué à la femme depuis des lustres. Et les autres traits de caractère ne manquent pas de surprise. Dans un scénario assez fin, les personnages jouent de nuance et de profondeur. Ce qui est la moindre des choses dans un quasi huis clos comme celui-là. Et cela s’avère une bénédiction pour des acteurs qui plongent dans toutes les facettes concoctées: elle est intelligente, réservée mais curieuse et sans préjugés. Il est à la fois faible et fort, tendre et dangereux. On y croit à cette histoire, car tout est fait pour cela. On veut faire du cinéma réel. Cela se passe à Paris, aujourd’hui, on souffre, on rit, on bouffe, on travaille et on y parle sans détour de cul et autres appendices ayant trait au sujet. Par contre, les dialogues agacent par leur poésie épurée, parfois post-adolescente. On fait surtout dans le cérébral urbain! Seul le passage éclair de Jean-Pierre Daroussin plonge le film pendant quelques minutes dans le populaire et dans l’humour. Même si on cherche la justification de cette scène, dès que Daroussin apparaît, on accroche, et dès qu’il disparaît, il se fait regretter!
Beau stylisme, beaux décors, belles prises de vue, et toujours un mouvement souple, qui glisse sans qu’on s’en aperçoive. Rien à dire. Mais, malgré le transfert de force du pôle masculin au féminin, on en a vu beaucoup d’autres en termes de relations passionnelles. Et à moins d’entrer dans la salle de cinéma particulièrement réceptif aux tourments de deux caractériels, c’est un bâillement plutôt qu’un coup de cour que ce film risque d’engendrer…
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