David Mamet-The Winslow Boy : Les liens du sens
Dramaturge célébré, scénariste habile, et réalisateur respecté, DAVID MAMET accorde peu d’entrevues; mais quand il le fait: ça en vaut la peine. Propos brillants et précis du cinéaste, sur le sens de l’honneur et de la justice, sur Hollywood, et sur son dernier film, l’excellent The Winslow Boy.
Si une chose se dégage de l’ouvre sombre, complexe et torturée de David Mamet (l’auteur de Glengarry Glen Ross et American Buffalo, le scénariste de The Untouchables et Wag The Dog, et le réalisateur de House of Games et The Spanish Prisoner), c’est bien l’idée qu’il ne faut jamais se fier aux apparences.
Je n’aurais donc pas dû être surpris quand l’auteur de 51 ans, célèbre pour ses drames urbains, musclés et tourmentés, répondit à mon coup de fil depuis une piscine extérieure, au Massachusetts, où des enfants semblaient s’amuser comme des fous.
Était-ce la énième mise en scène d’un artiste fasciné par les médias et la manipulation, ou (plus simplement) le réflexe d’un homme ayant la réputation de détester les entrevues? Difficile à dire, tant Mamet – qui a l’air, en photo, d’un ours trapu et mal léché, déguisé en universitaire trapu et mal léché – aborde le rituel de l’entrevue avec un mélange de méfiance, de courtoisie, de provocation et de franchise. «C’est vrai que je n’ai pas donné d’entrevues pendant longtemps, explique-t-il d’une voix rauque et rapide, qui porte encore l’accent de son Chicago natal. Mais j’ai commencé à en donner quand un producteur m’a dit: "Je financerai ton projet si tu acceptes d’accorder des entrevues." Quand le suivant a vu ça, il m’a dit: "Si tu en as fait pour ce putain de truc, il faut que tu en fasses pour celui-là aussi." Et ainsi de suite… Et puis, je crois que ça aide quand même un peu le film…»
Le film en question (son sixième) s’intitule The Winslow Boy, et offre une adaptation sensible, discrètement émouvante et (à première vue) fort peu «mametienne», d’une pièce de Terence Rattigan (déjà portée à l’écran en 1950), qui a toujours fasciné Mamet par son portrait d’une famille anglaise du début du siècle, qui s’unit pour faire face à un procès déchirant. «Je me rappelle avoir vu le film quand j’étais jeune, et d’avoir été très ému. Puis j’ai vu la pièce, il y a une vingtaine d’années, à New York. Il m’a semblé que c’était une des pièces les mieux écrites que j’aie jamais vues: un mélodrame brillant, presque une tragédie – la chose la plus difficile à construire.»
Au-delà des apparences
S’inspirant de cette pièce de 1946 (inspirée d’une histoire vraie qui secoua l’Angleterre édouardienne), The Winslow Boy raconte les malheurs de Ronnie Winslow (Guy Edwards), benjamin d’une famille respectable, et cadet dans une école navale, accusé d’avoir imité la signature d’un ami pour toucher un mandat de cinq shillings.
Cette affaire, apparemment dérisoire, devient toutefois une affaire d’État quand le père du garçon (l’excellent Nigel Hawthorne), qui ne doute pas de l’innocence de son fils, décide de compromettre le bonheur de sa femme (Gemma Jones), et le mariage imminent de sa fille (Rebecca Pidgeon), en demandant à un avocat prestigieux mais trouble (Jeremy Northam) de défendre l’honneur de son fils en traînant en cour la Marine et le Gouvernement. «C’est une histoire qui m’a toujours touché, explique Mamet. Peut-être parce qu’elle traite du courage et de la persévérance d’une famille dans des circonstances éprouvantes. Et puis, mon père était avocat, et je pense que j’étais attiré par l’idée d’un drame à la fois légal et familial.»
Il est probable que le scénariste de The Verdict (qui a parlé de ses relations tendues avec son père, et avec son beau-père, dans The Cabin et The Cryptogram) ait été séduit par l’image idéalisée de la famille que véhicule ce drame légal, feutré, précis et subtilement émouvant, et qui aborde, d’une manière étonnante (car apparemment éloignée de Mamet); ses thèmes de prédilection: la fragilité des apparences et des relations humaines, la complexité des rapports hommes-femmes, et l’importance des règles et des codes. «Pour moi, la question est de savoir si le sens de l’honneur et de la justice sont des valeurs qui ont vraiment existé ou si elles n’étaient que des idéaux à atteindre. Le fait que la pièce se déroule à l’ère édouardienne permet de juger de la question avec une certaine distance. Si l’on montrait ce genre de comportement aujourd’hui, on pourrait toujours dire qu’il n’existe plus, même si je ne le crois pas personnellement. Ça permet aux gens de se demander: "Pourrais-je faire preuve de ce courage dans les mêmes circonstances?" Dans ce sens-là, ce n’est pas très différent d’une pièce comme Un ennemi du peuple ou Saint Joan. De plus, je crois que le film porte spécifiquement sur Némésis et sur la question du sort: "Par où le Mal peut-il arriver?" Et la réponse, évidemment, est: "De partout". Comme disait Sénèque: "Vous devriez toujours traiter le destin comme s’il allait vous faire tout ce qu’il peut vous faire." C’est une chose à laquelle je pense beaucoup depuis quelque temps…»
Est-ce pour déjouer un destin qui lui semble de plus en plus capricieux? Toujours est-il que Mamet est plus actif que jamais. Entre ses livres (quatre cette année!); ses scénarios non produits (dont un Dr. Jekyll and Mr. Hyde pour Al Pacino); ses pièces de théâtre (Boston Marriage, sur une union lesbienne, vient de prendre l’affiche); et ses collaborations à des produits hollywoodiens (Ronin ou le téléfilm Lansky), Mamet développe plusieurs projets de films, dont une «petite comédie» qu’il espère réaliser cet automne, et Heist, un «film de cambriolage» en hommage à Stanley Kubrick («On se téléphonait régulièrement pour discuter de choses et d’autres. Nous avions parlé de projets à quelques reprises, même si nous n’avons finalement rien fait ensemble.»).
Comment ce grand dramaturge (qui a gagné tous les prix, de l’Obie au Pulitzer) aborde-t-il son travail de metteur en scène? «C’est simple, explique-t-il. Je commence par écrire le meilleur scénario possible, puis je mets ma casquette de réalisateur, et je me dis: "Qu’est-ce que je peux faire avec cette merde?"» Plus sérieusement, cet admirateur d’Atom Egoyan, des frères Coen et de John Sayles (il dit aussi avoir aimé les derniers films de «Woody» et de «Warren») affirme que l’essentiel est de toujours se rappeler «qu’Hollywood est un "carnaval dépravé", une ruée vers l’or, où il y a beaucoup de traîneaux, mais peu de chiens pour les tirer».
«Pour réussir à faire un film, conclut-il, il faut prendre plaisir à composer avec tout ce qui fait que c’est souvent si difficile. Il faut savoir qu’un pique-nique attire toujours les fourmis…»
Dès le 2 juillet
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