L'EnnuiCédric Khan-Sophie Guillemin : Corps accords
Cinéma

L’EnnuiCédric Khan-Sophie Guillemin : Corps accords

Dans un grand appartement parisien, un quadragénaire (Charles Berling) et une jeune fille (Sophie Guillemin) se rencontrent pour faire l’amour. Il est sur le bord de la dépression, et elle semble aussi opaque que transparente. À l’aspect sexuel, se greffe, peu à peu, les souvenirs, les confidences, la jalousie, le jeu du chat et de la souris. Sans savoir qui des deux est la proie…

Avec un sujet pareil, l’ombre du Dernier Tango à Paris a dû constamment planer sur le tournage de L’Ennui, troisième film de Cédric Khan, inspiré du roman de Moravia. «C’était une référence, bien sûr, mais j’ai essayé de l’oublier, confie le cinéaste, rencontré à Paris, en janvier dernier. J’ai d’ailleurs entendu dire que Bertolucci s’était inspiré du livre pour Le Dernier Tango…»

Grippé, pas rasé, et visiblement avec l’envie d’être n’importe où sauf devant le micro d’un journaliste, le réalisateur tente à peine d’expliquer ce qui l’a poussé à adapter ce livre touffu, et rempli d’embûches pour quiconque veut l’adapter. «C’est d’abord un livre que j’ai adoré, un de ces livres que j’aurais aimé écrire. Il y a eu un gros travail de transposition, parce qu’il fallait moderniser l’idée de l’ennui qui, dans le livre, vient beaucoup de la situation de rentier du personnage principal.» Avec Laurence Ferreira-Barbosa, également réalisatrice (Les gens heureux n’ont rien d’exceptionnel), les deux collaborateurs ont donc gommé le personnage de la mère, pour le remplacer par celui de l’ex-femme (Arielle Dombasle) à laquelle le type se confie. «Elle a un rôle d’interlocutrice. On a trouvé cette formule pour faire avancer le récit, et on pensait que ça pouvait amener du comique.» Aux dires de Cédric Khan, L’Ennui a suscité beaucoup plus de rires dans les pays latins que dans ceux à la mentalité nordique. À ce compte-là, le Québec doit pencher du côté du froid, car on cherche encore la drôlerie d’une Arielle Dombasle aussi insupportable qu’à l’habitude.

Charles Berling, quant à lui, est parfait en marathonien de la logorrhée verbale, dans ce film fidèle à ses intentions, mais inévitablement répétitif – l’obsession sexuelle et l’ennui étant deux notions finalement assez peu cinématographiques. Mais il y a une vraie découverte: Sophie Guillemin, actrice atypique que le réalisateur a mis trois ans à trouver. «Toute la difficulté du film, c’était de trouver une jeune comédienne plus forte, plus intéressante que le personnage, et capable d’incarner ce qui est, au départ, un fantasme d’écrivain.»

Habitant naturellement l’écran, cette Parisienne de 20 ans impose sa présence avec une assurance et un naturel qu’on n’avait pas vus depuis les débuts de Sandrine Bonnaire. Tout comme l’actrice d’À nos amours, elle n’avait aucune expérience de cinéma; elle y est arrivée par hasard (par l’entremise de l’amie d’une cousine, agente de casting), et elle porte le film sur ses rondes épaules – y compris dans des scènes de baise abordées de front, sans faux-fuyants. «Comme il y a beaucoup de scènes de sexe, j’ai essayé de les filmer comme n’importe quelles autres scènes, explique Cédric Khan. Elles sont toujours reliées à l’action du film, et la façon de filmer était indiquée par le sentiment des personnages. Et puis, l’érotisme n’est pas tellement le propos du film.» Ni plus ni moins qu’il ne l’était dans Le Dernier Tango: «L’amour physique est sans issue», écrivit si justement Gainsbourg, dont la présence se fait parfois sentir dans ce film intègre, mais souvent lourd. Et que pensait la jeune actrice de ce dénuement, physique et plus, de ces scènes qui, sans être racoleuses, sont très impudiques? «On n’y pense pas, dit-elle, surtout que ce n’est pas gratuit. C’était nécessaire pour comprendre le personnage et l’histoire.»

En personne, avec son visage de madone et ses courbes à la Renoir, Sophie Guillemin a une assurance propre à sa jeunesse, et une foi dans l’avenir, salutaire après le côté blasé de cinéaste de 32 ans. «Au début, je me disais que ça allait être un petit film, dont personne parlerait, dit-elle en rigolant. Eh ben, c’est raté!» En effet, sa performance n’est pas passée inaperçue, et elle fut saluée par une nomination aux Césars. «Je l’ai fait, au début, pour me faire plaisir, et tout ça s’est fait progressivement, alors j’ai pu encaisser; il n’y a pas eu de choc. Je n’avais pas peur car je n’avais rien à perdre. Mais je trouve Cédric très courageux de m’avoir fait confiance.»

Rêvant de cinéma depuis son enfance (mais sans y penser concrètement parce que trop inaccessible), Sophie Guillemin compte bien, maintenant, faire fructifier cet accident du destin. «J’espère que L’Ennui sera le premier de plusieurs films, mais je ne ferai pas du cinéma pour en faire. J’ai envie de faire des choses qui m’intéressent; et puis si le cinéma ne m’amène nulle part, eh bien tant pis, je vivrai ma vie!» Qui sait: alors que Guillemin a un second film en vue («Je ne peux pas en parler, car rien n’est signé.»), et que Khan en prépare un quatrième sur un tueur en série français, les chemins du cinéaste et de la comédienne se croiseront peut-être de nouveau…

Dès le 9 juillet
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