Le Comptoir-Sophie Tatischeff : Au film du temps
Quand on s’appelle Sophie Tatischeff, qu’on est la fille de Jacques Tati, qu’on a travaillé comme monteuse de son illustre papa (Playtime, Trafic, Parade), et qu’on réalise un premier long métrage, on s’expose inévitablement aux comparaisons. Rencontrée à Paris, en janvier dernier, Sophie Tatischeff prend tout ça avec un grain de sel. «Je revendique le fait d’être la fille de Tati, et, maintenant que j’ai une certaine maturité (50 ans, quand même!), je n’ai plus peur de ça. J’ai, évidemment, mis beaucoup de temps à l’assumer, mais aujourd’hui, je m’en fous. Si ça aide les gens de comparer, tant mieux pour eux – ou tant pis. Mais, moi, je revendique la formidable éducation que j’ai eue. J’ai appris à observer, à regarder les gens et à les aimer parce que c’est propre à toute ma famille.»
Écrit en 1980, Le Comptoir raconte la vie d’un comptoir («le confessionnal des athées!») que Marie (Mireille Périer) fait fabriquer pour son bistrot, en 1912. Acheté, en 1975, par une Parisienne en quête de tranquillité (Maurane), l’objet servira à retracer 70 ans d’histoires publiques et privées d’un petit village breton, qui connut deux guerres mondiales, l’électricité, l’automobile et la télévision, mais aussi le triangle amoureux entre Marie, Jean (Christophe Odent) et Yvon (Jacques Penot).
Avec ce film d’époque, étalé sur plusieurs décennies, et au ton à contre-courant, la fausse «débutante» n’a-t-elle pas recherché la difficulté? «Non, parce que la vraie difficulté a été d’être le plus proche possible de ce que j’avais imaginé. Le maquillage, les décors, etc., ce sont des problèmes techniques qu’on peut résoudre. C’est bien plus difficile de trouver un distributeur, par exemple!»
Réalisatrice de plusieurs courts métrages (dont Dégustation maison, César en 1978); monteuse pour Tati, Doillon, Serreau, Annaud; et responsable de la restauration de Jour de fête, Sophie Tatischeff n’est pas une débutante, mais toute cette expérience ne lui a, dit-elle, servi à rien. «Au tournage, j’étais complètement novice; et c’est très bien, parce que sinon, on devient des tâcherons. De toute façon, faire un film n’est pas une question de compétence, mais d’écriture. Avant, en rentrant dans une salle de mixage, je savais tout de suite si c’était un film de Melville, de Renoir, ou de Tati. Aujourd’hui, c’est plus difficile à dire parce que le cinéma est un médium qu’on maîtrise très bien – ou pas du tout, mais ça, c’est une autre histoire!»
Doté d’un rythme lent, qui prend le temps de suggérer les choses, Le Comptoir n’est pas un film platte, mais souvent plat, par manque de relief. Suivant les traces de son père, Sophie Tatischeff s’attaque à un genre casse-gueule où le récit s’appuie sur le petit rien, le détail révélateur, le gag qui fait sourire; le film intimiste qui cherche sa «petite musique». Il la trouve parfois, en particulier dans le jeu fin de Mireille Périer et de Christophe Odent. Mais il la perd souvent, la cinéaste entremêlant les époques un peu gratuitement; les maquillages «vieillissants» versant dans la caricature; Maurane ayant l’air de se demander ce qu’elle fait là; et un personnage de touriste québécois (Michel Laprise) dont on se serait passé.
Cela dit, il est évident que Le Comptoir est un labour of love, et que sa réalisatrice a le sens familial de l’observation, et le regard attentif aux choses de la vie. On comprend, entre les lignes, qu’elle est consciente des imperfections de son film, mais on la sent également très fière d’avoir enfin réalisé un vieux rêve. «C’est le chemin que j’avais à parcourir. Si j’avais tourné Le Comptoir à 22 ans, ç’aurait été un autre film. Je n’ai aucun regret et aucune amertume par rapport à tout ça: j’aimerais simplement compléter une sorte de trilogie avec un film en Bretagne (c’est fait), un second au Brésil (qui est écrit, et dont je monte le financement), et un troisième au Québec! Après, on verra dans quel état je serai!»
Dès le 16 juillet
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