The Blair Witch Project-The Haunting : Les apprentis sorciers
L’un est une grosse machine qui tourne à vide; l’autre, un film fauché, habile et inventif. The Haunting, The Blair Witch Project: deux «films de peur» qui illustrent, d’une part, les limites d’Hollywood; et de l’autre, l’éternel renouvellement d’un genre sous-estimé.
Lake Placid et son croco jumbo, Into the Deep et son requin géant (à venir, Deep Blue Sea et ses squales pensants), The Mummy et sa marée de bébites (sans compter Arlington Road et son psychopathe de banlieue, et Instinct et son psychopathe de jungle): fin de millénaire ou pas, l’été 99 nous amène une moisson abondante de films d’horreur ou de suspense, auxquels il faut ajouter The Haunting et The Blair Witch Project, exemples typiques de ce qui se fait de pire – et de mieux – dans le genre.
Tiré du roman de Shirley Jackson (déjà adapté, et autrement mieux, par Robert Wise, en 1963), The Haunting, de Jan De Bont (tâcheron hollywoodien à qui on doit Speed et Twister), raconte l’histoire classique d’un groupe d’individus prisonniers d’une maison hantée. Cette fois-ci, il s’agit de trois cobayes (Lily Taylor, Catherine Zeta-Jones et Owen Wilson) réunis par un médecin (Liam Neeson) qui, sous le couvert d’une étude sur l’insomnie, fait des recherches sur la peur. Pourquoi dans un château à mi-chemin entre le manoir écossais et le Taj Mahãal? On ne le saura jamais. Pourquoi une des deux femmes dit-elle être bisexuelle? On ne le saura pas plus. Pourquoi avoir réalisé un film aussi creux? On se le demande…
Qu’il s’agisse de Jaws ou de Scream, de L’Exorciste ou de Nightmare on Elm Street, de Psycho ou de La Nuit des morts-vivants, quand on va voir un film de peur, c’est pour avoir peur. Ici, pas le moindre sursaut, pas le plus petit ongle rongé: on admire le décor gothico-baroque d’Eugenio Zanetti, on apprécie les effets spéciaux (ah! les silhouettes d’enfants dans les rideaux; oh! le plafond qui descend; hi! le fantôme qui hurle!), on regarde les comédiens s’ennuyer sérieusement, et on attend impatiemment la fin. Avec ses dizaines de millions de dollars, ses vedettes, ses équipes de spécialistes, et ses effets spéciaux hyperréalistes, The Haunting est plus long et moins terrifiant qu’une heure de La Boutique TVA.
Écrit, réalisé et monté par deux débutants (Daniel Myrick et Eduardo Sanchez), The Blair Witch Project est exactement à l’opposé de The Haunting: pas de vedettes, très peu d’argent (100 000 $!), pas d’effets spéciaux, mais des idées, du talent, du flair et du culot. On nous annonce d’abord que nous allons voir les images retrouvées sur les lieux où disparurent trois jeunes, venus-là pour tourner un documentaire sur la légende de la sorcière du Maryland. Images granuleuses de 16 mm noir et blanc, format carré du vidéo, son direct, caméra épaule et acteurs novices (Heather Donahue, Michael Williams, Joshua Leonard, tous les trois excellents): The Blair Witch Project réinvente le genre avec des bouts de ficelle, à la manière d’un Robert Morin, par exemple. Il y parvient parce que ses concepteurs sont retournés aux sources, à l’expression la plus simple de la peur, celle du noir et de l’inconnu. Comme dans The Haunting, on a des «innocents» prisonniers d’un lieu maléfique, mais Myrick et Sanchez ont centré leur film sur les personnages: c’est par eux qu’on vit la peur, la fatigue, le froid, la faim, la colère, etc. Avec une forêt de novembre, grise et brune, pour toile de fond, c’est la lente dégradation des rapports humains qui prend la vedette, la paranoïa qui s’installe, le doute qui s’immisce. Ces bruits autour de la tente, ces cris au loin, dans la nuit, sont-ils réels ou imaginés par des esprits éprouvés?
Moins horrifiant que prévu, The Blair Witch Project est aussi un film sur le cinéma, jouant avec le voyeurisme, la crédibilité, et qui manipule le spectateur avec une habileté diabolique. En effet, au fil des heures, puis des jours qui passent, la situation des trois compères perdus devient alarmante, puis franchement dangereuse, alors que la jeune femme filme encore, et qu’un des garçons lui demande de ranger sa caméra. Confortablement assis, on souhaite qu’elle le fasse, mais si elle le fait, il n’y a plus de film! Donc, elle ne le fera pas, et nous n’échapperons pas à l’horrible fin. Logique imparable.
Si les premiers spectateurs du film, au Festival de Sundance, ont pu profiter de l’effet de surprise («C’est un documentaire?»), il est trop tard pour nous… Reste un film brillant et gonflé (moins radical et dérangeant que C’est arrivé près de chez vous, qui utilisait le même procédé), qui nous invite à nous amuser à avoir peur. Quelque chose qui a à voir avec l’enfance, lorsqu’on évacue des peurs profondes par des histoires d’ogres et de sorcières. Avons-nous changé tant que ça?…
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