Tang, Le Onzième-Daï Sijie : Conte à rendre
Cinéma

Tang, Le Onzième-Daï Sijie : Conte à rendre

Conte envoûtant coproduit par ROGER FRAPPIER, et tourné au Viêt Nam, Tang, Le Onzième, du cinéaste chinois DAÏ SIJIE, sort un an après sa première au Festival des Films du Monde 98. Mieux vaut tard que jamais…

Il arrive malheureusement de plus en plus souvent que les films découverts au Festival des Films du Monde doivent attendre la veille de l’édition suivante pour se faire (parfois de peine et de misère) une petite place sur nos écrans. C’est ainsi que Tang, Le Onzième – une production franco-québécoise, tournée au Viêt Nam, par le cinéaste chinois Daï Sijie (Chine, ma douleur) – prend enfin l’affiche à Montréal, près d’un an après sa première au Festival des Films du Monde 98.

«Mieux vaut tard que jamais», me direz-vous, et vous aurez bien raison. D’autant que ce conte intemporel n’aura sans doute pas trop souffert de ce délai, et que son réalisateur (un homme chaleureux de 45 ans, rencontré l’an dernier au FFM) avait l’air passablement patient et philosophe. «Si on ne l’est pas, le cinéma fait qu’on le devient», disait-il en riant, et avec un fort accent, en évoquant les inévitables problèmes qu’entraîne la réalisation d’un film tourné dans un village, à 300 kilomètres de Hanoi, à proximité de la frontière chinoise, et dont les habitants, recrutés comme figurants, ne paraissaient connaître ni le théâtre ni le cinéma. «Il leur semblait même, explique le cinéaste, un petit peu étonnant qu’on puisse vouloir "jouer" à être quelqu’un d’autre.» Mais le cinéaste s’empresse d’ajouter que ces circonstances étaient parfaites pour la réalisation d’un conte qui s’adresse au subconscient du spectateur en le plongeant dans un autre monde.

Tang (Akihiro Nishida), le «onzième», a été l’enfant de trop, celui qui est venu rompre l’équilibre annoncé par une légende ancestrale selon laquelle les habitants d’un petit village seraient un jour délivrés de la lèpre, si une de leurs familles parvenait à engendrer cinq garçons et cinq filles. Élevé par son frère aîné (Tapa Sudana), après que leur père eut tué leur mère, Tang a vécu pendant près de 20 ans dans une mine abandonnée, dont il n’est sorti que grâce à l’amour d’une femme qui lui a permis de quitter le village qui l’avait condamné. Mais quand on lui annonce, 15 ans plus tard, que son frère aîné est atteint d’une maladie, Tang retourne au village, sans se rendre compte qu’il tombe ainsi dans un piège machiavélique.

Film «pour les légendes et contre les superstitions», Tang, Le Onzième, écrit à quatre mains par Daï Sijie et Nadine Perront, s’appuie sur un scénario très bien construit, mais extrêmement complexe (le synopsis précédent n’en résume qu’une fraction…), qui repose sur tant de rituels obscurs et de traditions étonnantes qu’il met longtemps à nous accrocher avant de nous tenir pour de bon. Mais sa mise en place patiente (qui peut sembler laborieuse, même si elle s’avère parfaitement nécessaire) permet au cinéaste de poser tranquillement les jalons d’un film qui envoûte lentement mais sûrement, en grande partie grâce aux superbes images de Guy Dufaux, et malgré quelques acteurs parfois peu convaincants. Avec le résultat qu’on finit par tomber sous le charme de ce film étrange (basé sur une légende familiale, mais qui tient aussi du portrait de société et du mythe) dont le dénouement, d’une noirceur terrifiante, a la résonance d’une grande tragédie. «En fait, explique le cinéaste, j’ai toujours été intéressé par ce type de récit, parce qu’il permet d’atteindre des émotions chez le spectateur qu’un type d’histoire plus conventionnelle suscite rarement. Et puis, le fait de parler de choses contemporaines dans un cadre comme celui-ci aide peut-être à mieux éclairer certains problèmes: les gens plongent dans un univers qui leur semble d’abord très éloigné, et finissent par découvrir des choses que nous portons tous en nous.»

Réflexion sur l’intolérance, la superstition, la tradition et l’ouverture sur le monde, ce film coproduit par Roger Frappier («Un producteur très créatif, qui m’a été d’un grand secours», confie Daï Sijie) a aussi été pour le cinéaste une occasion d’explorer son imaginaire et sa vision du monde à travers le regard d’une équipe franco-québécoise, qui lui a apporté les perspectives de deux cultures différentes. «Travailler avec ces gens a été une expérience formidable sur le plan humain, mais aussi sur le plan artistique. Car leur regard, leur sensibilité et leurs questions sont constamment venus enrichir les détails du film. Je pense qu’ils m’ont aidé à en faire un film qui témoigne d’un univers qui peut paraître irréel et peut-être un petit peu étrange, mais qui pourra toucher, du moins je l’espère, les émotions et l’imaginaire des gens de partout…»

Dès le 6 août
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