The Loss of Sexual Innocence : Paradis perdu
Quel réalisateur n’a pas déjà rêvé, ne serait-ce qu’un instant, d’abandonner les contraintes du cinéma narratif (histoire, personnages, construction dramatique) pour essayer de s’attaquer à un film plus expérimental et proche de la poésie, dont l’essence tiendrait exclusivement à des moyens cinématographiques?
Mike Figgis, le réalisateur anglais de Stormy Monday, Leaving Las Vegas et One Night Stand – qui compose souvent la musique (généralement du jazz) de ses propres ouvres – , a voulu le faire à plusieurs reprises, et l’a même brièvement essayé dans certaines scènes de ses films. Il n’a toutefois jamais tenté de le faire aussi totalement (et avec des résultats aussi peu concluants) que dans The Loss of Sexual Innocence, un film en forme de série de saynètes disloquées, lourdement poétiques, à la fois confuses et transparentes, où il essaye tant bien que mal de dire quelque chose (oui, mais quoi?) sur «la perte de l’innocence sexuelle» – on dirait le titre d’un essai universitaire!
Comment s’y prend-il? Difficile à dire tant le film mélange les ébauches de récits, les personnages à peine esquissés, les emprunts stylistiques et les idées à moitié développées, en un tout ambitieux mais incohérent, qui voudrait atteindre la puissance visuelle du cinéma muet mais qui évoque davantage une série de clips mous et de flashs publicitaires.
Disons donc que le film entremêle bizarrement (et d’une manière si confuse qu’il nous faut bien une quarantaine de minutes pour déchiffrer le peu que l’on finit par comprendre) des fragments de souvenirs, de rêves et de scènes de la vie quotidienne d’un cinéaste anglais (Julian Sands), qui se prépare à aller tourner une pub en Tunisie; et les aventures de nouveaux Adam et Ève (il est noir, elle est blanche) errant dans un paysage désert, sauvage et non identifié (on y voit les restes d’une voiture et d’une maison abandonnée), qui pourrait bien être le Paradis…
En route, Figgis nous sert quelques visions-chocs des écoles anglaises des années 50 (qui semblent sorties de The Wall); des scènes de sexe et des montages parallèles qui évoquent les premiers films de Nicholas Roeg (Performance, Don’t Look Now, The Man Who Fell to Earth); quelques clins d’oil appuyés au Passenger, d’Antonioni; et de curieux apartés sur la gémellité (bonjour Kieslowski!), au fil d’un film abscons où le cinéma expérimental rencontre l’imagerie publicitaire, où l’autobiographie filmée croise l’inventaire cinéphilique, et où la méditation philosophique se perd dans un existentialisme de carte postale.
Cet étrange fourre-tout ennuie toutefois rarement les sens (grâce aux très belles images de Benoît Delhomme, et à une bande sonore qui mêle musique classique et jazz), et attire malgré tout la sympathie, car Figgis a au moins le mérite d’expérimenter à une époque où tant de ses confrères fonctionnent sur le pilote automatique. Dommage que cette tentative de repousser les limites du septième art ne finisse ironiquement que par souligner celles du cinéaste…
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