Private Confessions : Féminin pluriel
Brillamment réalisé par LIV ULLMANN, Private Confessions est d’abord un film écrit par INGMAR BERGMAN, qui, à 81 ans, a signé le scénario d’une ouvre qui nous laisse admiratifs et émus.
Dieu merci, Ingmar Bergman ne sait pas ce qu’est la retraite. Depuis qu’il s’est officiellement «retiré» du cinéma (avec la sortie de Fanny et Alexandre, en 1982), le cinéaste de 81 ans a non seulement continué à mettre en scène – et souvent, à écrire – de nombreuses ouvres pour le théâtre et la télévision (comme En présence d’un clown, présenté l’an dernier au Festival des Films du Monde), mais il a, en plus, rédigé les scénarios de films comme Les Meilleures Intentions (dont il a confié la mise en scène à Bille August), L’Enfant du dimanche (dont il a laissé la réalisation à son fils, Daniel), et le tout nouveau Private Confessions (dont le titre original, Enskilda Samtal, veut plutôt dire Entretiens privés), qu’il a mis entre les mains de Liv Ullmann.
Or, tous ces projets sont intéressants (outre leurs mérites respectifs, et le fait qu’ils nous permettent de voir encore des «films de Bergman», même s’ils ne sont plus réalisés par lui) parce qu’ils nous aident indirectement à mesurer l’apport de Bergman-metteur en scène au travail de Bergman-scénariste, et de constater que le réalisateur suédois est non seulement l’un des plus grands cinéastes du vingtième siècle (ça, on le savait déjà…), mais qu’il est aussi – et peut-être même d’abord et avant tout – l’un de ses meilleurs dramaturges.
En effet, ce n’est pas faire injure aux contributions (souvent brillantes) des artistes qui ont porté Private Confessions à l’écran que de remarquer que ce film ne perdrait à peu près rien de son formidable impact s’il était mis en scène au théâtre; c’est tout simplement réaliser que sa force et sa profondeur dépendent essentiellement d’un scénario admirable (possiblement même parfait) dont les personnages (extraordinairement complexes et insaisissables), les dialogues (terriblement justes et subtils) et la construction dramatique (apparemment simple mais surprenante, audacieuse sans être tape-à-l’oil) sondent de manière fascinante la détresse d’une femme à cinq moments-clés de sa vie.
Dans la mesure où une grande partie de l’impact du film repose justement sur la découverte des surprises que réserve cette structure, nous nous contenterons de dire que Private Confessions visite cinq époques de la vie d’Anna (l’excellente Pernilla August), qui s’articulent autour d’une journée de juillet 1925, où elle avoue à son oncle Jacob (Max von Sydow), un pasteur, qu’elle a trompé son mari (Samuel Froler), un autre pasteur, avec un jeune et timide étudiant en théologie (Thomas Hanzon). Cet aveu n’est toutefois que le premier d’une série de révélations et de remises en question de plus en plus subtiles et profondes, qui s’additionnent, se complètent et se contredisent même parfois, pour brosser l’un des portraits de femme les plus complexes et émouvants de l’ouvre de Bergman: celui d’une épouse, à la fois soumise et rebelle, dont les désirs se heurtent constamment à la lâcheté des hommes et aux règles de leur société, mais aussi à ses propres rêves et à son perpétuel sentiment de culpabilité.
La mise en scène discrète et assurée de Liv Ullmann (qui avait déjà impressionné avec Sofie) est sans doute pour beaucoup dans la justesse de certains moments extrêmement troublants (en particulier dans l’avant-dernier tableau, où une scène subtilement dévastatrice témoigne d’une compréhension de l’âme féminine qui dépasse peut-être même celle du Maître). Les interprètes sont uniformément excellents (en particulier Pernilla August et Max von Sydow); et la mise en scène de la fin se révèle l’une des plus satisfaisantes et des plus mystérieusement «ouvertes» de l’ouvre bergmanienne. Seul point faible: la photographie des intérieurs, élégante, mais étonnamment morne et artificielle, de l’habituellement irréprochable Sven Nykvist.
Dernier volet de la trilogie (largement autobiographique) que Bergman a consacrée à ses parents, Private Confessions n’exerce pas l’envoûtement visuel ou la dévastation émotive des plus grands films de Bergman. Liv Ullmann ne le cherche d’ailleurs manifestement pas. Son film se «contente» de mettre brillamment en valeur le texte d’un artiste qui ne cherche plus à impressionner, à séduire ou à choquer, et qui applique ici son talent à rendre (avec une grâce et une subtilité presque invisibles) le jeu des forces souterraines qui peuvent façonner un être et hanter sa vie. Bref, à orchestrer les «entretiens privés» d’une âme dont les tourments rejoignent, éclairent et habitent la nôtre.
Au Cinéma du Parc
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