Louis Bélanger : La vie et rien d’autre
Avec Post Mortem, un premier long métrage en compétition au 23e Festival des Films du Monde, LOUIS BÉLANGER fait son entrée au cinéma par la grande porte. Un «débutant» qui a tout de même dix ans d’images dans le corps. Rencontre avec un jeune cinéaste lucide et enthousiaste.
À 35 ans, Louis Bélanger a l’air d’un ti-cul. Pas un petit garçon, mais un ti-cul capable de tous les coups, certainement quelques mauvais, mais aussi plusieurs bons. Son dernier en date s’intitule Post Mortem, un premier long métrage avec Gabriel Arcand présenté en compétition officielle au 23e Festival des Films du Monde. Pas mal pour un ti-cul dont à peu près personne, à moins de s’intéresser à la vidéo, ne connaissait le nom. Pourtant ce cinéaste, vidéaste, et scénariste «fait des images» depuis plus de dix ans.
Après de brèves études en journalisme à l’UQAM («C’était vraiment pas fait pour moi!»), il rencontre Denis Chouinard, le complice avec qui il réalise plusieurs vidéos, dont Les 14 Définitions de la pluie, qui remporte le Prix de la meilleure vidéo aux Rendez-vous du cinéma québécois en 1992. «Avec Denis, on avait une espèce d’urgence à tourner. On nous demandait tout le temps: "Pourquoi vous tournez pas en film?», mais nous, on était boulimiques. Le côté instantané de la vidéo, c’était parfait, mais, quand on a gagné le Prix aux Rendez-vous, qu’on a vu l’énergie qu’on avait mise là-dedans et le peu de visibilité que ça avait eu, on s’est dit: "On va sur pellicule."» Denis Chouinard coréalise donc Clandestins, avec Nicolas Wadimoff, tandis que Bélanger se lançe dans l’écriture de Post Mortem, librement inspiré d’un fait divers, et que les deux compères avaient mis en banque pour plus tard.
Difficile de raconter l’intrigue de Post Mortem sans déflorer les personnages, sans éventer l’intrigue. «Si on dit que c’est une histoire d’amour, c’est vrai, avance Louis Bélanger, mais c’est pas vraiment ça, et ça dit pas grand-chose.» Disons qu’on y découvre Linda (Sylvie Moreau), une jeune femme qui drague et vole des hommes de passage afin d’élever sa petite fille (Sarah Lecompte-Bergeron), et Ghislain (Arcand), un solitaire, amateur de vieux blues, veilleur de nuit à la morgue. On peut dire que ces deux-là se rencontreront, qu’ils vivront quelque chose de très fort, mais en dévoiler davantage, équivaudrait à vendre la mèche. «Quand j’écrivais le scénario, j’étais très naïf, confie Bélanger, parce que je me disais: "Les gens vont avoir envie de tourner la page pour avoir d’autres informations." Mais à cause de la médiatisation propre à l’industrie du cinéma, c’est impossible. Dans le film, on apprend seulement après dix minutes que Ghislain travaille à la morgue, même chose pour Linda, qui est présentée comme une bonne mère. C’est seulement après qu’on sait que c’est une voleuse.»
Pas de panique: il vous reste assez de choses à apprendre sur Ghislain et Linda, et un revirement de situation suffisamment extraordinaire, pour que Post Mortem vous intrigue jusqu’à la toute fin. D’autant plus que l’aspect suspense est loin d’être l’enjeu principal du film. «Pour moi, le sujet, c’est pas l’intrigue, c’est les personnages, leur quête, leurs bonheurs, leurs faiblesses, leur grandeur, leur chair, leur humanité. J’étais ben amoureux de ces personnages-là. Je les aimais pour de vrai. Lui, il m’attendrissait avec sa quête d’amour; elle, c’était sa façon de patauger dans la vie pour assurer un certain bonheur à sa fille. Leur détresse me touchait ben gros. Je trouve que les gens sont beaux dans leurs défauts. Ils sont grands dans leurs problèmes. Robert Morin m’a dit, un jour: "Un personnage est toujours plus intéressant quand il est en transformation." Quelqu’un qui doute est toujours plus intéressant que quelqu’un sûr de lui.»
Robert Morin est un nom qui revient souvent dans la conversation: on ne travaille pas dix ans à la Coop Vidéo de Montréal sans que le réalisateur de Windigo ne soit une sorte de référence. «C’est sûr qu’il y a une influence de Robert: Requiem pour un beau sans-coeur, c’est le premier long métrage sur lequel j’ai travaillé. Ce qui m’intéresse, c’est la façon de raconter une histoire. Les histoires sont pas mal toutes racontées. Ce qui fait le charme, c’est la façon de la raconter, comme un bon conteur qui sait user de pauses, qui sait baisser le ton avant d’arriver au punch.»
Esprit de famille
Produit par Lorraine Dufour, Post Mortem a été fait dans «l’esprit Coop». Une façon de faire et une vision du monde partagées par de fortes personnalités. Un côté: «C’est rien qu’une vue, mais on va la faire avec tout ce qu’on a.» Avec ce premier long métrage écrit et réalisé en solo, Bélanger est le premier à reconnaître l’apport de sa «famille cinéma». «Tu sais, à la Coop, on s’aime, on gueule, on se chiale dans les bras. Une vraie famille, quoi! Il y a un trademark "Coop", on s’influence: quand on écrit un scénario, on fait des photocopies, on s’en parle de façon informelle. Il y a une grande collégialité. Tu peux jamais prendre tout le crédit d’un film. Je me sens ben gros tributaire de Lorraine, qui m’a poussé, et, en même temps, c’est pas une productrice pressée: si le scénario est pas prêt, elle ira pas le défendre devant les institutions.»
Habitué à écrire à quatre mains, à dealer avec une équipe et à travailler en groupe, Bélanger sait ce qu’il veut, et on sent une détermination respectueuse lorsqu’il parle des conseils qu’on a pu lui donner. «Sans être lèche-cul, je peux pas dire que j’aie eu ben des bâtons dans les roues de la part des gens de Téléfilm et de la Sodec. Il y a eu des lecteurs intelligents, et quand je voulais pas déroger, je dérogeais pas. Sur un set, c’est pareil: je sais ce que je veux, mais j’ai de grandes oreilles. Quand il y a de bonnes idées, je pige dedans. Tu peux pas dire que tu fais un film tout seul, mais, en même temps, tu te ramasses toujours seul avec tes ulcères et tes crises d’angoisse devant le computer. C’est à toi de régler ça.»
C’est à un de ces moments de doute profond que Louis Bélanger reçut un encouragement aussi inattendu qu’inespéré. «Un de ceux qui m’ont le plus aidé, c’est Michel Tremblay, et il le sait même pas. À un moment où je downais sur mon scénario, je lui ai envoyé, comme ça, sans vraiment rien attendre. Quelques jours plus tard, il a laissé un message sur mon répondeur où il me disait: "Continue, c’est bon. Fais juste ben attention à une chose: que la petite fille soit pas trop cute." Ça m’a vraiment donné un coup de pouce, ça m’a boosté.»
Sur un plateau
Passé le cap de l’écriture, Louis Bélanger se retrouva comme un poisson dans l’eau sur le plateau, retrouvant ses marques. «Je me sens le gars le plus heureux sur un plateau. Robert m’avait dit: "Tu vas voir, c’est pas drôle se lever le matin, aller vomir, embarquer dans le taxi, pis descendre sur le set." Moi, ça m’est pas arrivé pantoute. J’étais comme un ti-cul qui s’en allait jouer. Pis, j’aime ça dealer avec des comédiens. Je me sens vraiment dans mon élément. J’avais promis aux comédiens qu’ils n’allaient pas jouer en regardant un X collé sur la caméra. Je pouvais dire à un comédien: "Joue, et la caméra va aller te chercher." On a tellement joué sur la frontière entre la fiction et le documentaire à la Coop que l’équipe technique était ben à l’aise avec ça.»
À l’exception de la petite Sarah, Louis Bélanger ne fit aucun casting, fonctionnant au coup de coeur, découvrant Sylvie Moreau à la Ligue d’impro. «Dès que je l’ai vue, j’ai su que c’était Linda. Elle est belle, elle a du chien, et, physiquement, elle était crédible pour jouer une fille qui assomme des bonshommes. En plus, son expérience de l’impro l’a beaucoup aidée pour jouer avec la petite fille, et, avec Gabriel, elle pouvait l’accoter en sachant qu’une scène, ça se bâtit à deux. Y a personne qui tire la couverte.»
Comment fait-on lorsqu’on est quasi inconnu et qu’on veut convaincre Gabriel Arcand de jouer dans son premier film? «Je ne suis pas passé par son agent. Je lui ai envoyé le scénario à 10 heures du matin, et à 5 heures, il me rappelait. Je pense que les risques qu’il y avait dans ce personnage – jouer un type qui peut passer pour un beau salaud, et qu’il faut qu’on aime – , ça l’a charmé. On s’est rencontrés, et la première chose qu’il m’a dite, c’est: "T’es sûr que c’est pour moi, cette affaire-là?"» Parlant de tout, sauf du scénario, le cinéaste en herbe et le comédien chevronné se sont entendus et compris, dans le travail, et même en dehors, se retrouvant au Petit Alep («ma deuxième maison», confie Bélanger), assistant au Mundial dans les cafés de la Petite Italie. Une image autrement plus nuancée d’un Gabriel Arcand qu’on qualifie un peu trop rapidement de «sauvage». «La rareté des présences de Gabriel sur un plateau de cinéma, ça fait qu’il est comme un ti-cul quand il arrive, explique Bélanger. Il est heureux, il aime ça jouer avec l’espace, avec la caméra. Ce sont des moments précieux parce qu’il sait qu’il va pas retourner là avant un bon bout de temps.»
Comédien au talent immense, Arcand ne tourne que très peu, et cette rareté, alliée à son absence du cirque médiatique, lui a forgé une réputation qui le précède: celle d’un acteur exigeant, sinon difficile. «À ma façon, j’ai une tête de cochon; mais, sur un plateau, gueuler après du monde, j’y crois pas. Le monde me disait: "T’es un jeune réalisateur, tu vas voir, tu t’attaques à un gros morceau." C’est vrai que Gabriel est exigeant, mais quand il bucke sur une affaire, c’est toujours justifié. Il est dévoué au travail, il cherche avec toi à aller plus loin. Il est d’une générosité incroyable, et quand il se met à jouer, tu peux biffer dans le texte. Il charrie tellement de choses, juste avec sa présence, avec ses yeux, que les explications, les justifications de personnages, ça devient inutile.»
En compétition officielle
Maintenant que son premier long métrage est derrière lui, comment le cinéaste le voit-il? «Un film, c’est la somme de ce que tu as donné, de ce que tu as pris, de ce que tu a gardé, de ce que tu as laissé aller. C’est du give and take. Post Mortem, c’est un film avec lequel je vis bien en autant que le spectateur embarque dans l’histoire. S’il y a des ratés techniques, des fautes de raccords, etc., je m’en sacre en autant que le monde aime mes personnages.»
Avant de passer le test du public, Ghyslain, Linda et les autres seront d’abord découverts par le jury du FFM. Une situation enviable pour leur créateur, qu’on devine aisément assez insensible à l’aspect compétitif de la chose. «Je pourrais ben faire mon ti-cul et dire que c’est un rêve d’enfance qui se réalise, mais c’est pas vrai! Et, en même temps, je suis super-content: je suis dans la même batch qu’Ettore Scola! Pour avoir travaillé ben fort sur des vidéos et qu’on les ait si peu vues, je suis ben content d’être en compétition officielle, parce que je sais que ça va être un maudit beau tremplin quand le film sortira en salle. Du cinéma, tu fais pas ça pour une gang d’initiés pis de chums. Je veux que mon film passe à la télé, et qu’il soit confronté aux pitonneux!»
Depuis qu’il a fini Post Mortem, Louis Bélanger a travaillé sur une version du prochain film de Denis Chouinard; il a écrit Mondialito, le prochain long métrage de Nicolas Wadimoff («Une histoire de foot, qui se passe à Marseille, pendant le Mundial»); et un téléfilm pour Wadimoff («La vie des habitants d’un bloc appartement.»), qui devrait être tourné au début 2000. Pas mal pour quelqu’un qui trouve l’écriture ardue! Et les projets plus personnels? «Je voudrais arriver à romancer les souvenirs que j’ai du gas bar de mon père, à Limoilou. Montrer une vie de quartier qui n’existe plus. Mais là, je suis en plein dedans, et il faut que je trouve la distance pour arriver à voir mon père, ma mère, mes frères comme des personnages. J’aimerais que ce soit un film dont les gens sortent en aimant la vie.» C’est ce qu’on lui souhaite. Et à nous aussi.
Au Festival des Films du Monde
En salle le 17 septembre