Souvenirs intimes : Le grand pardon
En lice pour le Grand Prix des Amériques du 23e FFM, Souvenirs intimes, de JEAN BEAUDIN est un thriller psychologique qui manque de suspense. Un film sombre et glacé, que tente de réchauffer d’excellents comédiens. Tiède.
Quand un film commence avec un simple d’esprit hilare qui dessine les contours des buildings du centre-ville de Montréal, ses bras traçant dans le vide, et qui demande à une fillette d’en faire autant, on sent que «la candide poésie urbaine» va rapidement nous taper sur le système. Archi-déjà-vu – la cinématographie québécoise en a plein ses bobines – , elle de plus bien inutile dans le dernier film de Jean Beaudin, Souvenirs intimes.
Ça commence mal, mais, à ce stade, tout est encore question de goût. Le simple d’esprit (Michel Charette) est un des amis de Max (James Hyndman), peintre talentueux et paraplégique heureux, vivant dans un superbe loft du centre-ville. Il paterne amicalement le jeune Laurel (Pierre-Luc Brillant), se fait dorloter par la mère adoptive de ce dernier (Louise Portal), et se fait gentiment emmerder par son ami de toujours, le sculpteur égocentrique Mortimer (Yves Jacques). Pour Max, tout baigne dans le bonheur, jusqu’au jour où Lucie (Pascale Bussières), un lointain amour de jeunesse, de retour en ville, se met à lui susurrer du Billie Holiday au téléphone, prélude à une vengeance implacable. En dire plus serait briser le secret de ce thriller psychologique.
Malheureusement, peu de temps après, le spectateur dénoue le fil de l’intrigue. Découvrir le pot aux roses prend moins de temps que d’élucider une énigme d’Agatha Christie. Plus le film avance, plus les intuitions se confirment. Ne reste plus qu’à attendre la tournure originale, à espérer une innovation dans l’art et la manière de trancher le noeud, à sonder les détails pour trouver de l’intérêt dans la démarche. Mais le réalisateur de J.A. Martin photographe, du Matou et de Being at Home with Claude a choisi de ne pas faire dans la dentelle. Il a parié sur une histoire simple, voulant accrocher le spectateur avec un langage différent, des tourments psychologiques et une atmosphère pesante. Il a donc choisi le chemin le plus clair et le plus convenu: le film avance par saccades, passant du temps présent joyeux à la montée dramatique, avec cadrage serré, musique inquiétante (et très agaçante) et flash-back en noir et blanc (image granuleuse et caméra qui bouscule tout, comme de bien entendu). Plus l’angoisse monte, plus les retours en arrière s’allongent et deviennent explicites; et plus le présent s’assombrit. Les portes claquent, le téléphone sonne et chaque rencontre entre les personnages est une pièce de plus dans l’éclaircissement du mystère. On déroge si peu au rythme que l’on peut prévoir le morceau manquant dans la scène qui va suivre…
Beaudin a travaillé avec Monique Proulx, coscénariste et auteure d’Homme invisible à la fenêtre, le roman dont le film est tiré. Également auteure des dialogues du Coeur au poing et du Sexe des étoiles, Monique Proulx poursuit dans la même veine. La recherche d’une esthétique verbale poétique se respecte, mais ici, la prose choisie, qui plane au-dessus des mortels, sent l’affectation et empêche de goûter pleinement au jeu des comédiens. Pour retrouver cette impression de «réalité différente», il faut se replonger dans les années 80, avec L’Été meurtrier, 37,2 le matin ou certains passages de Diva. Hyndman songeur derrière son aquarium…
Car, enfin, les acteurs sont bons! Hyndman campe avec justesse le gaillard serein, celui qui a fait une croix sur le passé et qui rebâtit tout avec humanité. L’oeil clair et la voix assurée, sa présence toujours solide en fait un excellent pivot. Pascale Bussières a la froideur inquiétante de son personnage, elle a la tension et les tics des héroïnes pétries par la vengeance. Yves Jacques sert d’amuseur et détend l’atmosphère. Mais ce sont Louise Portal et Marcel Sabourin, en médecin philanthrope, qui éclairent de véracité ce long métrage par trop glacé. Par un jeu naturel qui coule de source, ils savent émouvoir, le temps d’un éclair. Malheureusement, ces passages heureux sont fugaces, car le scénario ne suit qu’une trace, celle du lien entre Max et Lucie, reléguant les personnages secondaires dans des eaux trop troubles. Ils sont assez développés pour exister; mais bancals et gauches, ils traversent l’écran sans véritable incarnation.
Pourtant, le plus agaçant n’est pas la mise en images d’un thriller sans suspense, ou l’élaboration de personnages et de sentiments glacés. C’est la finale qui a de curieux relents de morale chrétienne. L’homme méchant a péché, il est donc condamné sur sa chaise roulante, mais son coeur s’est ouvert. Il aime maintenant son prochain comme un frère et, magnanime, il est capable de toujours pardonner. Faute, culpabilité, mise en croix et rédemption: si cette trame pèse lourd, c’est qu’elle a au moins 2000 ans d’âge. L’histoire qu’en ont tirée Jean Beaudin et Monique Proulx en est une illustration empesée. Bien sûr, ces soubresauts judéo-chrétiens n’empêchent nullement le film de Beaudin d’être en lice pour le Grand Prix des Amériques, au Festival des Films du Monde de Montréal…
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