Le Temps retrouvé : Temps composé
Cinéma

Le Temps retrouvé : Temps composé

Avec Le Temps retrouvé, Raoul Ruiz part à la recherche du… Temps perdu de Marcel Proust et trouve dans le dernier volume de ce monument littéraire le terrain de jeu d’une expérience on ne peut plus cinématographique: un film qui est moins l’adaptation impossible d’un livre réputé inadaptable qu’une sorte de marelle d’images et de sons jouant sur les thèmes du temps, du souvenir et de l’art. Contrairement à ce que son casting de luxe pouvait laisser croire (avec des stars comme Catherine Deneuve, John Malkovich, Emmanuelle Béart), Le Temps retrouvé n’est pas une production estampillée «qualité française» typique, mais bien un Ruiz pur jus, qui a les qualités et défauts des oeuvres de l’auteur de Trois Vies et une seule mort et Les Trois Couronnes du matelot. Avec, d’un côté, sa fascination contagieuse pour les jeux d’espace et de temps, l’adresse de ses vertigineuses mises en abime et son sens de l’expérimentation, mais aussi sa tendance à multiplier les dédales formels et narratifs et à s’y perdre pour son seul plaisir.

Le livre de Proust permet à Ruiz (et à son coscénariste, Gilles Taurand) d’éviter presque toujours ces défauts, dans la mesure où Le Temps retrouvé ne «raconte» justement rien d’autre que le plaisir (et la douleur) de raconter. Le narrateur (le très bon Marcello Mazzarella, un hallucinant sosie de Proust, qui est doublé ici par Patrice Chéreau) traverse la société des Verdurin et des Guermantes comme un observateur – il est toujours à l’écoute des autres – dont la narration nous projette constamment (au contact d’un objet, d’un bruit, d’une image) d’une évocation à une réminiscence et d’une vision à un souvenir.

La caméra de Ruiz survole cet espace mental (aussi fluide que l’image des torrents qui ouvre le film) avec une liberté étonnante, multipliant les trucages à la Méliès, les effets théâtraux et les télescopages spatio-temporels, au fil d’un film où les statues s’animent le temps d’une séquence, où les personnages changent d’interprète entre deux plans, et où le narrateur s’envole en lisant un journal devant un écran et voit des rangées de spectateurs tanguer pendant un concert interminable! Toutefois, le film embrasse si bien le sentiment de vertige et d’étouffement éprouvé par ce pauvre Marcel face au vide de sa société qu’il finit par nous les faire ressentir aussi. Avec le résultat que cette oeuvre brillante et somptueuse finit par faire l’effet d’un dessert trop riche, qui rassasie bien avant qu’on ne l’ait fini – le film dure tout de même 2 h 38!

Les oeuvres qui offrent une telle abondance de richesse sont cependant trop rares pour qu’on boude celle que Ruiz nous offre ici: de son traitement astucieux des scènes attendues (comme celle du pavé de Venise) à sa mise en scène du dernier dîner mondain (d’une perfection anthologique), en passant par le plaisir de voir John Malkovich composer magistralement un improbable baron Charlus dans un français dont la qualité fluctue d’une scène à l’autre… Objet curieux mais fascinant, qui captive et agace (parfois simultanément), Le Temps retrouvé est de ces films que l’on admire sans être sûr de les aimer et qui nous envoûtent sans jamais vraiment nous séduire. Bref, une sorte de gageure intellectuelle et artistique, mais une gageure tenue, et souvent jouissive, à laquelle il faut reconnaître le mérite considérable d’avoir su transformer une oeuvre purement littéraire en un film authentiquement cinématographique.

Dès le 10 septembre
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