Cinéma

Un pont entre deux rives : Passé simple

Un pont entre deux rives commence et s’achève sur des images cousines, celles d’une petite ville normande vue de loin, mais pas suffisamment pour ne pas apercevoir une femme qui, au début, sort d’un cinéma avec son fils, et, à la fin, s’apprête à partir au volant d’une voiture. Entre les deux, on assiste au parcours de Mina (Carole Bouquet), mère complice de son fils de 15 ans (Stanislas Crevillen) et épouse d’un maçon (Gérard Depardieu), qui travaille sur le chantier de Tancarville, à l’époque, en 1962, destiné à être le plus grand pont d’Europe. Elle fait des ménages chez une riche amie, et tue le temps au cinéma où elle rencontrera Matthias (Charles Berling), ingénieur du fameux pont, hébergé chez la riche amie de Mina – comme ça tombe bien. Pas besoin de vous faire un dessin: un homme, une femme, chabadabada…

La situation est classique, et le duo Depardieu et Frédéric Auburtin n’essaie pas de réinventer l’amour. Malgré sa beauté hors de l’ordinaire, Mina n’est pas une mangeuse d’hommes de province, pas plus qu’une Madame Bovary des années 60. C’est un personnage de femme on ne peut plus ordinaire, qui a de l’amour pour son fils, de la tendresse pour son mari, une vie intérieure qu’on devine riche et quelque peu muselée, et un appétit de vivre qu’elle sublime à travers Jules et Jim et West Side Story, ainsi que ses lectures. Là où ça cloche sérieusement, c’est quand on veut nous faire admettre qu’une femme ayant l’allure de Carole Bouquet a vécu 15 ans dans une petite ville sans faire de remous; qu’une aisance, une beauté, une assurance pareilles soient le fruit d’une vie passée à faire le ménage, la cuisine, etc. On n’y croit pas une seconde. Le talent de la «compagne de Gégé» n’est pas en cause, mais, avec son port de reine, son regard de top-modèle et son teint de pêche, Mina a plus l’air d’une Ava Gardner égarée au pays du Calva que d’une reine du foyer normande. Drôle de manie qu’ont certains cinéastes de vouloir à tout prix prendre des stars pour incarner madame Tout-le-monde. On se souvient encore de Deneuve, dans La Reine blanche, déguisée en ménagère, tablier maculé et mèche rebelle, en train d’éplucher des patates!

Devant la caméra, Depardieu nous refait le coup de la grosse bête blessée, quelque part entre Cyrano et Obélix. Et ça marche, tant le comédien parvient, en un seul regard, à habiter un personnage, à lui donner la transparence et l’opacité nécessaires. Derrière la caméra, Auburtin et Depardieu font dans la simplicité. Tout en ellipse, Un pont entre deux rives refuse l’effet et le moment de bravoure. Ça coule tout seul, distillant les grands sentiments et les petites trahisons, mettant l’accent sur la relation mère-fils (ouverture inédite et finement traitée de l’éternel triangle amoureux), et privilégiant la nuance. On a évoqué Truffaut et Pialat un peu vite pour ce film qui n’a ni l’habileté du premier ni la véracité du second, surtout dans certains dialogues littéraires, décalés, invraisemblables. Même un comédien de la trempe de Depardieu ne parvient pas à donner vie à une phrase telle que: «Même le soleil ne pourrait t’empêcher de partir.» Y a-t-il un acteur qui y parviendrait?

La recherche d’épuration et l’envie d’universel se sentent dans ce film qui se veut simple comme bonjour; mais la simplicité extrême demande une recherche, une rigueur, et un souci de vérité qu’on ne retrouve malheureusement pas ici. Reste une bluette pas méchante, mais sans conséquence.

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