Mon ennemi intime, le documentaire que Werner Herzog vient de consacrer à la relation d’amour (professionnel) et de haine (très personnelle) qui l’a lié à Klaus Kinski, est un film à l’image du regretté acteur: discutable, mais fascinant, troublant et unique.
Le mélange de malaise et de séduction qu’exerce ce film est évidemment d’abord imputable à Kinski lui-même: cet étrange «monstre» (où le monstrueux rejoignait le sacré), qui passera sans doute à l’histoire plus pour le personnage qu’il semblait être – un fou génial à tête de gargouille, au regard possédé et au caractère de chien – que pour les rôles qu’il incarna au fil d’une carrière cinématographique essentiellement motivée par l’appât du gain (il ne s’en cachait d’ailleurs pas). Mais le mélange de fascination et de trouble qu’exerce ce documentaire atypique vient aussi du regard d’Herzog, et de ce que ce portrait révèle de lui.
Depuis le jour où le hasard l’amena (à l’âge de 12 ans!) à assister à la crise de rage d’un voisin nommé Klaus Kinski, Werner Herzog a développé une fascination de plus en plus complexe (et difficile à vivre) pour celui qui deviendrait la vedette de cinq de ses films: Aguirre, la colère de Dieu, Woyzeck, Fitzcarraldo, Nosferatu et Cobra Verde.
Mon ennemi intime n’est donc pas un portrait objectif de Kinski, et ne prétend surtout pas l’être. Herzog ne nous donne presque aucun repère biographique, n’interviewe aucun des amis de l’acteur ou des membres de sa famille, et se borne (ce qui est déjà beaucoup!) à évoquer avec quelques collègues (dont les actrices Claudia Cardinale et Eva Mattes) les conflits qui ont entouré leurs collaborations artistiques. Extraits de tournage et témoignages à l’appui, il nous raconte comment Kinski a failli fendre le crâne d’un figurant avec son épée; la fois où il en tua presque un autre d’un coup de pistolet (le pauvre homme perdit tout de même un doigt!); et celle où Herzog, à bout de nerfs, faillit mettre lui-même le feu à la maison de Kinski…
Mais cette succession d’incidents tragi-comiques, toujours divertissants (déjà évoqués dans le très beau Burden of Dreams, de Les Blank), frappe trop souvent une seule et même note: «Nous étions fous, mais nous faisions de bons films ensemble…». Heureusement, l’affection refoulée, ambiguë, mais néanmoins communicative qu’Herzog éprouve pour son «ami» traverse aussi l’écran, et donne lieu à quelques moments de cinéma étonnamment émouvants, par exemple, les derniers plans du film.
Curieux making of d’une relation maso-artistique, Mon ennemi intime pose aussi implicitement la question de ce qui est arrivé au génie de Werner Herzog, un «incontournable» du cinéma des années 70, qui a presque disparu depuis la fin des années 80. On se demande d’ailleurs forcément, en voyant ce premier long métrage d’Herzog depuis la mort de Kinski, si son «ennemi intime» n’a pas emporté son cinéma avec lui. Et si ce portrait – aussi double qu’ambigu (à la fois mot d’amour et lettre empoisonnée) – n’est pas une ultime tentative pour le retrouver.
Dès le 17 septembre
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