Image et Nation gaie et lesbienne : Cycle supérieur
Avec 40 longs métrages présentés, le 12e festival Image et Nation atteint la maturité. Du commercial à l’expérimental, du choquant à l’inoffensif, du radical à la comédie: le cinéma gai et lesbien est arrivé en ville, avec une diversité de propos et de factures inimaginable il y a dix ans.
Depuis douze ans qu’il existe, le festival Image et Nation gaie et lesbienne a beaucoup évolué, pas tant dans sa structure ou son mandat que dans le type de films présentés. Avec une fréquentation qui tourne autour de 14 000 spectateurs, Image et Nation amorce un cycle de transition, alors qu’on présente, cette année, 40 longs métrages des États-Unis et de France, mais aussi de Hong Kong, d’Australie, d’Allemagne et de Norvège. Un festival, qu’il soit spécialisé ou non, ne fait que refléter la réalité de la production mondiale. En 1987, Image et Nation était le seul lieu de diffusion de films à thématique gaie ou lesbienne, pour la plupart plutôt radicaux dans la forme et le contenu. Douze ans plus tard, les films sont de tous genres, de l’expérimental au commercial, et la concurrence ne se limite plus à l’un des 160 festivals de ce type dans le monde, mais s’étend au Festival du Nouveau Cinéma, à celui de Toronto ou au FFM, et même à l’exploitation en salles. En effet, quand des films comme In and Out, Go Fish, When Night Is Falling, L’Escorte, Better Than Chocolate, Chasing Amy, Gods and Monsters, The Hanging Garden, High Art, Love! Valour! Compassion! ou Priest bénéficient d’une distribution régulière, la production gaie et lesbienne courtise le succès en salles, et l’on voit de plus en plus de films gais straight. L’exemple le plus probant étant Trick, film d’ouverture de cette 12e édition, petite bluette gentille, mais inoffensive, qui sort en salles au lendemain de l’ouverture (voir critique, page 41). Que les amateurs de sensations fortes se rassurent: Classy Cunts et Sex Flesh in Blood; Skin Flick, de Bruce La Bruce, ou S., de Guido Henderickx (présenté à Fantasia et sorti au Desjardins), ne sont pas pour tous les publics; et ceux pour qui l’expérimental est la norme apprécieront un programme comme Mélange maison, regroupant huit courts métrages, dont Le temps passe, de Nelson Henricks; Brothers, d’Anne Golden; et Stravaig-Errance, de Nikki Forrest.
Du rire aux larmes
Parmi les meilleurs films présentés cette année, il y a Bedrooms and Hallways, de Rose Troche, une comédie fine et drôle sur l’identité et l’orientation sexuelle, où la réalisatrice de Go Fish bouscule, avec le sourire et une pointe de sarcasme, plusieurs idées reçues. Est-on gai parce qu’on baise avec un homme? Si un gai couche avec une femme, devient-il hétéro? Étiquettes interchangeables ou réalités mouvantes? Un bel hétéro qui découvre les joies de la sodomie, un gai qui veut faire l’amour avec sa première blonde, des hétéros qui passent un week-end à explorer leur «masculinité», des filles qui tentent de garder le cap: avec ouverture, légèreté, émotion et humour, Bedroom and Hallways parvient à explorer toutes ces avenues, à développer de beaux personnages, à faire sourire et réfléchir.
Dans le même registre, Pourquoi pas moi?, de Stéphane Giusti, est un peu moins réussi, mais néanmoins agréable. Trois jeunes lesbiennes et un jeune gai invitent leurs parents à la campagne pour leur apprendre qu’ils sont homosexuels. Ça démarre bien, le rythme est vif, très parisien, et la présence de Johnny Hallyday, Marie-France Pisier et Brigitte Rouan (tous les trois excellents) pique la curiosité. Ça se gâte lors de la confession des enfants, pour finalement verser dans la caricature et adopter un ton de vaudeville pas très convaincant.
Beaucoup plus sombre, Lola and Bilidikid, montre les déboires d’un jeune gai turc musulman de Berlin, qui découvre que son frère, disparu depuis des années, fait des shows de travesti. Un ton à la Fassbinder qui mêle classes sociales et mélodrame, une galerie de personnages très bien campés, des acteurs solides: ce film de Kutlug Ataman est certainement l’un des plus aboutis de cette 12e édition.
Court métrage de Martial Fougeron, Je vois déjà le titre annonce un cinéaste prometteur avec un ton original – humour, cruauté et tendresse mêlés – dans ce portrait d’un homme perpétuellement à la recherche de l’amour. Pourtant, Oranges et Pamplemousses, long métrage du même cinéaste, ne tient pas vraiment la route, alors que cette chronique de deux amis qui se perdent dans la drague au téléphone est trop décousue pour convaincre. Dans les deux films, par contre, on découvre une présence surprenante, celle de Denis D’Arcangelo, comédien atypique, physique lunaire et bagout à la Arletty, qui évoque autant Tati que Bette Davis!
Le «coming of age movie» est maintenant un genre abondamment illustré, sinon surreprésenté. Parmi ceux présentés cette année, retenons Get Real, du Britannique Simon Shore, dans lequel un garçon de 16 ans est amoureux du jock de l’école. Les revirements de situations sont surprenants… Comédie douce-amère, Get Real tient le cap jusqu’à la toute fin, avec un regard juste et jamais misérabiliste sur les premiers émois amoureux. Quant à Edge of Seventeen, de David Moreton, son seul intérêt est dans la reconstitution réussie du milieu des années 80, chansons de Bronski Beat et de Toni Basil à l’appui. Sinon, c’est un téléfilm aussitôt vu, aussitôt oublié. Même impression de produit télévisuel avec In the Flesh, de Ben Taylor, où un garçon de bonne famille, devenu prostitué, tombe amoureux du flic chargé d’enquêter sur l’assassinat d’un de ses clients. Platement filmée et mal jouée, cette intrigue invraisemblable se prend pour un thriller, mais ressemble à ces séries B tournées pour le marché vidéo.
Les temps changent (trithérapie oblige….): cette année, on peut compter sur les doigts d’une main les films sur le sida, tous des fictions… Parmi ceux-ci, un moyen métrage correct, mais sans plus: The Olive Tree, de George Camarda, dans lequel un New-Yorkais décide d’avoir un enfant avec deux amies lesbiennes, un an après la mort de son amant.
Soulignons qu’on retrouve quatre films de Hong Kong cette année: Bishonen… Beauty et Hold You Tight, «pour les hommes»; Intimates et Portland Blues, «pour les femmes». Une présence qui confirme la vitalité de ce cinéma à découvrir.
Documentaires, etc.
Signe des temps: le documentaire, parent pauvre du cinéma, est de plus en plus rare à Image et Nation, la fiction prenant presque toute la place. Parmi les productions présentées, citons Before Stonewall et After Stonewall, documents historiques prenant la célèbre émeute de 1969 comme pivot central; et The Man Who Drove Mandela, de Greta Schiller, film sur Cecil Williams, militant sud-africain qui tenta d’intégrer la lutte des gais à celle des Noirs. Living with Pride: Ruth Ellis, d’Yvonne Welbon, trace le portrait d’une incroyable lesbienne noire centenaire, femme exceptionnelle, mémoire vivante d’un siècle mouvementé. Gendernauts, de Monika Treut, est un film peu convaincant sur le sujet pourtant fascinant de l’identité sexuelle, à travers des entrevues avec des femmes qui, à divers degrés, sont devenues des hommes. Défendant l’idée qu’il faut abolir les genres sexuels, les fondre et les redéfinir, Gendernauts souffre de répétition, d’un manque de clarté et d’un ton grano-PC-californien agaçant. Présenté en 97, You Don’t Know Dick était autrement plus intéressant.
Un des moments forts du festival risque d’être la présentation (280 minutes) de Queer as Folk, série télé britannique impensable de ce côté-ci de l’océan, qui décrit, sans aucune censure visuelle, thématique ou verbale, la vie de trois gais de Manchester. Explicite et, paraît-il, drôle et très bien fait.
Tant au niveau de la facture et des thèmes que des pays d’origine, la diversité s’affirme donc à Image et Nation. Après neuf ans de survie financière, le festival reçoit, depuis trois ans, une subvention du Conseil des Arts du Canada, et une légère contribution de la Ville de montréal («Du côté de la SODEC, on dénote une certaine ouverture, mais aucun geste concret n’a encore été posé», précise le programmateur Yves Lafontaine). La prochaine étape, au point de vue du financement, serait de trouver les moyens pour sous-titrer des films non anglophones (si possible en français…). Question d’avoir d’autres regards que celui des Américains, et d’ainsi élargir les horizons du cinéma gai et lesbien.
Du 23 septembre au 3 octobre
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