Régis Wargnier
Régis Wargnier projetait de tourner une sorte de western situé en Asie centrale, une histoire assez folle mettant en vedette Catherine Deneuve dans le rôle d’une diplomate française chargée de ramener un cheval offert par les Turkmènes au président de la République. C’est en visitant les républiques d’Asie centrale qu’il rencontre des gens qui parlaient français. Ils étaient tous des enfants nés de mère française et de père russe qui avaient choisi de répondre à l’appel de Staline, en 1946. Après la deuxième Grande Guerre, Staline propose à tous les ressortissants russes de revenir dans le giron de la mère patrie pour reconstruire le pays. La plupart de ces Russes qui avaient refait leur vie en France choisissent d’y aller avec femmes et enfants, en ignorant qu’il s’agit d’une amnistie en trompe-l’oil.
«J’avais trouvé mon sujet, explique Wargnier, mes deux héros sont inspirés de gens qui ont vécu ce drame. Malheureusement, les gens en question n’ont pas voulu nous rencontrer, alors nous avons fouillé dans les archives. Ce faisant, j’ai voulu comprendre pourquoi ils étaient revenus, comment ils étaient tombés dans le piège du stalinisme.»
Wargnier, le scénariste Louis Gardel et le scénariste russe Roustam Ibraguimbekov, reconnu pour son travail avec Nikita Mikhalkov, vont écrire le premier jet de l’histoire de Marie (Sandrine Bonnaire) et d’Alexeï (Oleg Menchikov), un couple type qui s’embarque pour la Russie en ignorant qu’il ne pourra plus la quitter…
Constat d’équilibre
Dans ses notes de tournage, le réalisateur a souvent commenté le travail d’écriture fait avec l’équipe russe. Un mariage réussi qui a tout de même subi quelques épreuves. Wargnier insiste cependant pour dire que ces quelques épisodes cahotiques sont venus enrichir le récit qu’il avait imaginé. Quand on lui fait remarquer qu’il y a dans Est-Ouest un bel équilibre entre la sensibilité slave et le romantisme français, son visage s’illumine: «Après que Roustam et moi ayions écrit le premier jet, j’ai retravaillé avec Sergueï Bodrov qui a eu deux attitudes vis-à-vis du film. Au début, il était très russe, il travaillait avec ses souvenirs, son âme et ses tripes. Il se rappelait son enfance en appartement communautaire, il pensait à des amis qui ont été envoyés dans des camps de travail, etc. Après notre seconde version, je suis allé le rejoindre à Los Angeles où il habite maintenant, et son attitude avait changé; Sergueï était habité par la notion d’efficacité à l’américaine. Il m’a fait restructurer ce roman-fleuve à la manière occidentale en faisant enlever des scènes anecdotiques et un peu de slavitude. Il m’a forcé à aller vers l’essentiel.»
Au-delà de l’horreur dans laquelle sont plongés les héros, on s’étonne de constater que les habitants qui partagent la vie de Marie et d’Alexeï ne soient pas des monstres. «C’est là que l’apport des Russes a été important. Nous, on en avait fait des personnages négatifs, des méchants, et eux, ils ont simplement créé des personnages semblables aux gens qu’ils ont connus, des êtres solidaires et attachants. Dans ces endroits, poursuit Wargnier, il y avait toujours une personne chargée de faire un rapport à la police. Les locataires le savaient, mais au-delà du climat de méfiance et de délation, il subsistait une noblesse. Il y avait là des gens qui essayaient d’exister dans des conditions pénibles et qui le faisaient avec les pulsions propres au genre humain.»
Un bref survol de la filmographie de Régis Wargnier nous permet de dresser un parallèle entre certaines de ses ouvres et le plus récent film. Ainsi, dans Indochine et dans Une femme française, on est plongé dans un drame personnel, voire passionnel, situé au cour de grands bouleversements historiques. Une saga intime dans un tourbillon sociopolitique. «Peut-être, mais j’ai l’impression qu’avec Est-Ouest, je suis plus près des personnages que dans Indochine, par exemple. Ce qui m’intéressait dans ce projet, c’était le potentiel dramatique du récit. Une femme suit son mari par amour, et ils sont enfermés dans une prison sans barreaux. L’homme s’adapte et la femme se révolte…»
Nous évoquons ensuite certaines scènes-clés du film qui, incidemment, sont souvent construites autour des réactions de l’actrice principale. Les gros plans sur le visage de Sandrine Bonnaire font comprendre toute la douleur de son personnage. Comme cette scène au théâtre où elle a la preuve que son mari n’a pas l’intention de s’enfuir avec elle. «Quand vous écrivez un scénario, vous donnez à une scène une évolution dramatique et vous essayez de lui donner un ton propre. On cherche toujours à aller au cour de l’essence profonde d’une scène.»