Sandrine BonnaireEst-Ouest : Grandeur nature
Épique, mais empesé, Est-Ouest, de Régis Wargnier, a le mérite d’offrir un grand premier rôle à SANDRINE BONNAIRE, une comédienne accomplie, exigeante et pudique. Rencontre avec une jeune femme en constante évolution.
D’À nos amours à Jeanne la Pucelle, et de Sans toit ni loi à La Cérémonie, Sandrine Bonnaire s’est imposée, discrètement et en douceur, comme une présence paradoxale et unique: une «nature» qui est aussi une grande actrice, une interprète qui est une «auteure» à part entière; une vedette qui n’a jamais voulu jouer les stars. Bref, l’héritière moderne (et sans prétention) d’actrices comme Arletty et Jeanne Moreau.
Avec son air mi-buté, mi-espiègle, son regard tantôt grave, tantôt rieur, et son sourire d’enfant, gourmand et lumineux, Sandrine Bonnaire semble être à la fois éloignée et très proche de l’adolescente de 17 ans (septième d’une famille de onze enfants!) qui déclara un soir, au tout-cinéma français, alors qu’elle cueillait son deuxième César: «Les Césars, c’est bien, mais ça rouille. Et dans les trous ça devient tout vert!»
Pourtant, la vedette, de passage cette semaine à Montréal, n’est plus une «nature» dont on vante la spontanéité, mais une actrice de 32 ans, qui a fait merveille dans tous les registres: passant de Doillon (La Puritaine) à Leconte (Monsieur Hire) et de Chabrol (Au coeur du mensonge) à Yves Angelo (Voleur de vie). Elle n’avait toutefois jamais touché au cinéma dit «populaire» jusqu’à ce que Régis Wargnier (le réalisateur d’Indochine) lui propose le rôle principal d’Est-Ouest, une superproduction qui répond au désir avoué de l’actrice de commencer à alterner oeuvres d’auteurs et films grand public.
«Quand on commence avec un metteur en scène comme Pialat, explique l’actrice, les gens vous associent à un certain type de cinéma. Mais je n’ai jamais aimé cette distinction entre les films d’auteurs et les autres. Pour les acteurs, c’est même plutôt chiant, parce qu’on vit pour passer d’un univers à l’autre. Les gens ne savent pas que j’ai commencé comme figurante dans Les Sous-doués en vacances! Alors, quand Régis m’a parlé de son film, ça correspondait à une envie que j’avais depuis longtemps. Surtout que le personnage de Marie, que l’on suit sur dix ans, était si beau et si fort. C’était comme jouer dix rôles dans le même film.»
Est-Ouest s’ouvre en 1946, au moment où Staline propose une amnistie aux Russes émigrés à l’Ouest, et les invite à revenir construire l’URSS d’après-guerre. Comme des milliers d’autres, Alexeï Golovine (Oleg Menchikov) décide de retourner au pays avec son épouse française, Marie (Sandrine Bonnaire), et leur jeune fils, Serioja (Ruben Tapiero). Mais leur retour se transforme vite en cauchemar: leurs passeports sont détruits, leurs amis, exécutés, des milliers de gens, déportés. Pendant que son mari joue le «retournant» modèle pour assurer leur survie, Marie commence à chercher désespérément un moyen de repartir en France. Elle y arrivera peut-être avec l’aide de Sacha (Sergueï Bodrov Jr.), un nageur olympique prêt à risquer sa vie pour passer à l’Ouest, et Gabrielle Develay (Catherine Deneuve), une actrice en tournée, qui défendra son cas auprès des autorités françaises.
Génération spontanée
Épique mais empesé, spectaculaire mais un peu terne, Est-Ouest est un gros roman-feuilleton que l’on suit sans ennui, ni véritable intérêt: un divertissement luxueux mais fade qui transforme un drame basé sur des faits réels en un mélo pur-cinoche, à mi-chemin entre Une femme française et Tintin chez les Soviets. Ajoutez la musique pompière de Patrick Doyle, un scénario qui ne rate pas un cliché, et une Catherine Deneuve sous-utilisée (dans un rôle important mais secondaire, où on lui demande de jouer les vedettes), et vous avez un film lourd et décevant, qui ne vaut que pour ses deux interprètes principaux: Oleg Menchikov, une sorte de Delon russe (dont le jeu est encore plus impressionnant quand on sait que l’acteur ne parle pas un mot de français!); et Sandrine Bonnaire, parfaite dans un film où elle montre, une fois de plus, son extraordinaire capacité à se couler dans l’univers de ses metteurs en scène.
«Je pense qu’il faut s’adapter aux exigences de chaque réalisateur, explique l’actrice. Si je tourne avec Téchiné ou Sautet, je joue d’une certaine façon. Avec Pialat, je joue à certains moments, et pas à d’autres. Avec Depardon, je ne joue pas du tout. Et avec Régis, je joue d’une autre manière. Parce que Régis ne veut pas miser sur le naturel. C’est quelqu’un qui veut à la fois la vérité, la grâce, et le rêve. Après chaque prise, il vient vous voir et il vous dit d’ajouter quelque chose, de changer un détail. Il faut donc essayer de trouver sa liberté, tout en suivant son trajet à lui.»
Cette flexibilité, Sandrine Bonnaire l’a acquise au fil d’expériences qui n’ont pas toujours été faciles. «À l’époque d’À nos amours, j’étais très jeune, très "fraîche" (rires) et surtout très spontanée. Maintenant, le travail, c’est d’essayer de retrouver tout ça. Pas la fraîcheur ni l’âge (rires), parce que ce n’est pas possible, mais au moins la spontanéité. Avant, je n’avais aucune idée de moi-même devant la caméra. Je pouvais tout me permettre. Maintenant, je me dis: "Si je fais ça, je vais avoir l’air idiote…" Je suis plus timide et j’ose moins, parce que je connais mieux l’image que je projette.»
Comment fait-elle pour retrouver cette spontanéité? «J’essaie de la retrouver en faisant des petites choses: je répète sans émotion, pour me réserver vraiment pour chaque prise; je m’aménage des surprises à l’intérieur d’une scène, et je m’efforce de prendre des risques. Et puis, j’essaie surtout de rester à l’écoute des autres acteurs… Avec Oleg, sur Est-Ouest, j’étais un peu nerveuse la première semaine, parce que c’est non seulement quelqu’un qui ne parle pas français, mais quelqu’un qui ne parle pas du tout (rires)… Mais comme dit Oleg: "Il y a une langue de l’acteur." Et ça, j’y crois. La langue de l’acteur, c’est avant tout d’être sensible aux choses. Et si on l’est, on trouve forcément les mots.»
Arrive-t-il parfois qu’on ne les trouve pas? «Ça arrive, admet l’actrice en riant. C’est un métier vachement bien pour ça, parce qu’on ne sait jamais si les choses vont marcher ou non. Il y a des films où je pensais que j’allais donner quelque chose et où je n’y arrivais pas, parce qu’il y avait un problème d’énergie, de confiance ou d’environnement. On ne peut jamais rien tenir pour acquis. Des fois, on se dit: "Ouais, ça je le sentais bien, c’est vraiment réussi", et puis on se voit aux rushs et on se dit: "Merde, c’est pas ça du tout!" Sur Est-Ouest, j’ai l’impression d’avoir vraiment donné. Et c’est finalement ce qui compte le plus pour moi.»
Dès le 24 septembre
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