Les Enfants du marais-Jean Becker : Y a d'la joie
Cinéma

Les Enfants du marais-Jean Becker : Y a d’la joie

Avec une simplicité désarmante, JEAN BECKER a signé un film joyeux et reposant sur l’amitié et les petits bonheurs. Seize ans après L’Été meurtrier, rencontre avec un cinéaste  heureux.

Il est des réalisateurs qui ressemblent étrangement à leurs ouvres. Jean Becker colle tellement à son sixième film, Les Enfants du marais, qu’il aurait même pu y jouer. Le mimétisme ne doit pas être superficiel, car cela fait près de 30 ans que le réalisateur de L’Été meurtrier et d’Élisa veut adapter ce roman semi-autobiographique de Georges Montforez à l’écran. Rencontré dans un hôtel de Montréal, Jean Becker est assis sur le bout du canapé, devant ses cigarettes, un peu mal à l’aise avec les mondanités de rigueur. Il s’excuse pour ses cigarettes; mais dans le fond, ça l’amuse de savoir qu’il loge à un étage non-fumeurs. La soixantaine souple, l’oil vif et la moustache façon Brassens, il parle avec simplicité de ce film qu’il a voulu comme un cadeau. «À l’aube de l’an 2000, je voulais donner l’aperçu d’une époque que je n’ai pas connue, et je voulais vraiment laisser ça à mes petits-enfants… qui adorent le Play Station et le Nintendo!»

Sébastien Japrisot accepta donc de faire l’adaptation du roman, et fit passer cette délicieuse histoire à travers les yeux d’une petite fille qui, avec la voix de Suzanne Flon, raconte ses premiers souvenirs, ceux d’un été où l’amitié fut si forte qu’elle scella à jamais la destinée de tous. Riton (Jacques Villeret) habite près d’un étang marécageux dans la région Rhône-Alpes, avec ses trois enfants, sa seconde femme, le souvenir de la première, la dive bouteille et le soutien de Garris. Celui-ci (Jacques Gamblin) s’est arrêté près du marais après avoir souffert dans les tranchées de la Grande Guerre. Ensemble, ils courent les petits boulots, chassent les grenouilles, ramassent du muguet et s’en vont aux escargots après l’ondée. Cet été-là, le cercle s’agrandit: à l’ami dandy et rêveur (André Dussolier) et au conducteur de locomotive (Jacques Boudet) s’ajoutent un riche industriel qui s’ennuie (Michel Serrault) et un boxeur revanchard (Éric Cantona).

Le film s’ouvre sur Garris cueillant du muguet dans une forêt éclairée par une lumière vive de fin de matinée. Il se penche, entortille les brins et les pose dans le panier. Une bouteille de rouge rafraîchit dans la rivière, elle est happée par la main leste de Riton, qui ne fout rien… On a déjà senti ce genre d’ambiance qui, en trois ou quatre plans, nous entraîne dans un univers familier. Celui de Renoir, Prévert et Carné ou Jacques Becker, le père du cinéaste, lui-même réalisateur de Casque d’or, de Touchez pas au grisbi, et de Rendez-vous de juillet, auquel on ne peut s’empêcher de penser en regardant Les Enfants du marais. On retrouve le même amour des personnages, l’amitié mise sur un piédestal, et cette légèreté toujours sous-tendue par la peur que tout s’arrête. Serait-ce un hommage? «Non, j’ai beaucoup trop de respect pour ce qu’a fait mon père, répond-il, presque abrupt. Et encore aujourd’hui, je pense à ce que mon père aurait fait avec cette histoire. Honnêtement, si je peux faire des films qui plaisent aujourd’hui, c’est grâce à lui. Ce n’est pas un hommage, c’est naturel. Voyez-vous, mon père aimait énormément tous les personnages. Il voulait qu’ils existent tous. Japrisot est comme ça; il apporte cette poésie aux personnages.»

Nostalgie cool
Pourtant, un film si joyeux et reposant, qui égrène avec tendresse des petits bonheurs, qui parle d’une époque où les hommes se décoiffaient devant les dames et où l’on chantait le mois de mai pour quelques sous, cela dégage forcément un parfum de nostalgie. «Mais je ne suis pas nostalgique! assure-t-il, amusé. Je veux simplement dire aux gens qu’il faut prendre le temps de vivre. Ce que je préfère, c’est une soirée avec des amis où l’on discute. Et je vais à la pêche…» Il ouvre, un peu intimidé, la porte de son monde. Il parle de son amour de la nature, souhaite que les gens partent en vacances pour redécouvrir des coins paisibles (!), et se vante que ses petits-enfants adorent aller à la pêche avec lui… Il explique que le gros du public français, les 40-80 ans comme il les appelle, ont incité les plus jeunes à aller voir Les Enfants du marais. «J’ai reçu plein de lettres, comme: "Becker, ton film, c’est cool!". C’est très touchant.» Son petit-fils de 13 ans a beaucoup aimé, et pas parce que c’est papy: «Et il est pourtant à l’âge des américonneries!»

L’âge du spectateur n’y est pour rien: on apprécie ou on raille ce regard candide sur l’humanité. Car on peut facilement tourner en dérision une ouvre si aimable, mais Becker s’avoue optimiste par nécessité. Certains penseront que c’est un nostalgique qui enjolive le passé, perdu dans ses souvenirs, où «tout était mieux avant, la nature, l’amitié, le goût du vin»… Mais cela ne serait pas rendre hommage à l’intelligence du metteur en scène. Pas dupe, Becker a construit cette bulle de bonheur hors du temps, en portant peu d’intérêt à la réalité d’alors. Il y a bien la guerre, mais le temps d’un plan, et le lieu de l’action reste flou. L’univers de Garris et de Riton a pourtant existé, mais il ne fut certainement pas si rose. Une candeur si simpliste, une histoire digne d’un livre d’images ou d’une chanson de Trenet n’existent pas en vain: ce film est un rêve d’humanité. C’est la vie telle qu’on la voudrait et non telle qu’elle se présente. Les acteurs ont compris le message du chef. On joue en sourdine, avec charme et doigté. Serrault se calme quand il pêche les grenouilles et Villeret explose quand il est saoul. Gamblin est parfait tout le temps, si gentil qu’on dirait Gary Cooper dans Mr. Deeds Goes to Washington.

Un héritage pour ses petits-enfants, un legs pour les gens d’aujourd’hui: Les Enfants du marais pourrait ressembler au dernier film d’un réalisateur qui a pris son temps. «Ah non! Faut que je me presse! Faut que j’arrive à cracher mon dernier venin, avoue-t-il, de plus en plus heureux de faire du cinéma. J’ai une idée, mais je ne veux pas en parler. Les metteurs en scène ont des superstitions, c’est comme ça…»

Dès le 1er octobre
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