Sylvia Chang : La ruée vers l’Est
Réalisatrice, comédienne, scénariste, productrice, chanteuse (et mère de famille), SYLVIA CHANG est une mégastar en Asie. Ici, on ne la connaît que pour son rôle dans Le Violon rouge. Programmatrice, avec François Girard, de Nouvelles de Chine, une sélection de dix films présentés au FCMM, la wonderwoman du cinéma chinois nous a accordé un entretien. Étourdissant.
Chez certaines personnes, la capacité de travail est troublante: plus elles sont occupées, plus elles multiplient les projets – tout en ne parlant que du temps qui passe et de leur propension à la paresse. Sylvia Chang fait partie de ce type d’individus, sorte de Takeshi Kitano au féminin, stakanoviste de la création. En Asie, c’est une mégastar. Ici, elle est à peu près inconnue, sinon pour son rôle dans Le Violon rouge, de François Girard. C’est d’ailleurs avec le réalisateur québécois, devenu un ami, qu’elle a concocté la section Nouvelles de Chine, du Festival international du nouveau cinéma et des nouveaux médias de Montréal (FCMM), où l’on pourra voir dix films, dont les deux dernières réalisations de Sylvia Chang, Siao Yu et l’inédit Tempting Heart.
Sylvia Chang est donc réalisatrice de neuf longs métrages, et actrice («dans à peu près 80 films…»). Six fois scénariste, elle est aussi productrice de télévision (notamment d’une série d’onze épisodes) et de cinéma (trois films). À ses heures, elle est également chanteuse, avec sept albums à son actif. Enfin, la wonderwoman est maman de trois fils. «Le boulot le plus difficile…», dit-elle. Les deux aînés vivent aux États-Unis, mais le petit de neuf ans est à la maison. Ah! Sans oublier qu’en ce moment, elle relit Shakespeare. Mais le matin seulement…
La maison, c’est à Hong Kong, d’où elle a accordé cette entrevue. Une voix posée, avec les hésitations qu’on imagine, suivie d’un froncement de sourcils, quand elle cherche le mot juste. Réponses courtes, mais mûrement réfléchies: dans chaque phrase, on sent l’envie de précision. Sylvia Chang parle d’ailleurs de la langue comme d’une terre à conquérir. «Je viens de Taiwan, où j’ai parlé mandarin jusqu’en première année; puis, j’ai parlé anglais jusqu’au collège. Je suis bonne dans les deux langues, mais pas impeccable. Il faut que j’améliore ma technique d’écriture. Je pourrais peut-être devenir écrivain!» lâche-t-elle en éclatant de rire.
Voix multiples
De retour à Taiwan à l’âge de 15 ans, après quelques années passées à New York, la jeune Sylvia n’a aucun projet en tête. Elle sait seulement qu’elle n’aime pas l’école. D.J. radio à 16 ans, elle chante à la télévision un an plus tard. «Je ne savais pas quoi faire. J’ai demandé à mes parents de me laisser travailler à la télé pendant un an. Ils étaient un peu inquiets, mais ils m’ont permis d’essayer. Je n’ai plus arrêté de travailler.» Remarquée à la télévision, Sylvia Chang commence sa carrière d’actrice de cinéma à 18 ans. Quand on lui parle d’un rêve de Cendrillon, elle rigole et parle de chance. N’empêche qu’elle enchaîne film sur film, pour la plupart dramatiques, avec un peu d’action, et quelques comédies, son genre préféré. En même temps, elle chante des chansons folk, puis change de créneau, et se met à la pop chinoise. «J’adore chanter, quoique récemment je n’aie pas vraiment eu le temps…»
À 24 ans, elle est appelée par la Fox. «J’ai eu la chance de jouer dans un épisode de M.A.S.H.! Ils ont aimé ce que j’ai fait, ils voulaient que je continue, mais je suis retournée chez moi.» Plusieurs fois, Sylvia Chang a eu l’opportunité d’une percée occidentale, avec Soursweet, de Mike Newell, en 88, et Eat Drink Man Woman, d’Ang Lee, en 94. «Je fais une job, précise-t-elle. Et ma job n’est pas de marcher vers Hollywood. Quand cela arrive, je le fais, mais pas de manière agressive. Et puis, je peux très bien organiser ma ruée vers l’ouest depuis Hong Kong», ponctue-t-elle, un rien mutine.
Ainsi, sans plan de carrière défini, la réalisation est venue naturellement à 26 ans, suivie de la production télé, puis cinéma. Comme s’il suffisait de le dire pour que cela arrive… Avec son second film, Passion, en 86, l’actrice déjà célèbre devient une réalisatrice respectée. Scénariste de Three Summers, en 92, elle est au sommet de la gloire, lorsque Siao Yu remporte un joli succès, et que Tempting Heart, qui vient tout juste de sortir à Hong Kong, fait parler de lui. «Ça marche très bien, mais il y a quelques critiques négatives, parce que ce film n’est pas comme les autres. Je n’ai pas fait un film linéaire. J’avais envie de m’amuser. C’est une histoire d’amour entre des jeunes gens qui se croisent et se fuient. C’est très simple, mais j’ai fait un montage qui va d’une histoire à l’autre. J’ai pris un chemin compliqué, parce qu’il faut toujours essayer au cinéma. J’ai donc fait comme la mémoire, qui se souvient en pièces détachées, et non en ligne droite.»
L’écran humain
À Hong Kong et en Asie, en général, le cinéma est une affaire d’hommes, mais Chang n’y voit que des avantages. «Je n’ai pas eu de problèmes, justement parce que l’industrie est dominée par les hommes. Nous sommes trois ou quatre réalisatrices, à Hong Kong. Sincèrement, croyez-vous que nous leur fassions peur? Ils sont tous très contents pour moi! Je fais des histoires d’amour, et eux font du kung-fu! Si un jour, par contre, je décidais de faire du kung-fu…» Et elle rigole de nouveau. «Et puis, je suis dans la business depuis si longtemps, que les gens sont habitués à moi.» Respectée comme réalisatrice, on salue surtout Chang pour son talent à diriger les comédiens, donnant à des vedettes populaires (comme celles qu’elle a engagées pour Tempting Heart) une crédibilité d’acteur. «On me dit souvent que ceux qui ne savaient pas jouer, savent le faire dans mes films. Je devrais peut-être ouvrir une école! Sincèrement, je connais les faiblesses et les forces des acteurs. Peut-être parce que je sais les mettre à l’aise sur un plateau, et puis, je suis très attirée par la psychologie humaine. Ça me passionne.»
Ce qui ne la passionna pas cependant, ce fut de recevoir un coup de téléphone chez elle, d’un homme avec un fort accent français, un jour de rhume carabiné. François Girard voulait la rencontrer. «Il avait l’air tellement sincère, j’ai dit O.K.!». À l’origine, le personnage qu’elle incarne dans Le Violon rouge avait vingt ans. Sylvia Chang en a 46. Elle propose donc au cinéaste Rene Liu, l’actrice de Siao Yu, mais il lui envoie tout de même le script, et l’appelle le soir de Noël pour connaître sa réponse. «J’ai eu le temps de lire un script très ambitieux, très bien écrit, explique-t-elle. Et je ne sais pas comment, mais cette histoire en Chine m’a touchée. Cette relation incassable, à laquelle on ne peut pas toucher… À ce moment-là, j’étais en production, mais je me suis dit que ce n’était pas une mauvaise idée de tout mettre de côté et de faire le film.»
Ainsi, avec cette manière presque nonchalante et instinctive d’avancer, cette femme, pleine d’humour et d’esprit, a trouvé le moyen de faire fructifier ses multiples talents. Et tant pis, si elle ne dort que cinq heures par nuit quand elle travaille. En ce moment, outre ses «matinées shakespeariennes», Sylvia Chang a un scénario qui traîne, et qui la nargue. Entre la promotion de Tempting Heart et les voyages à Montréal et ailleurs, elle n’a pas envie de plancher. «J’évite ma table», dit-elle. Elle regarde la télé, des vieux Chaplin ou des Woody Allen avec son fils, parce que «ça permet de décompresser, et l’inspiration peut venir». Mais c’est surtout en observant son fils cadet qu’elle a eu l’idée de ce prochain scénario, sur le rapport des jeunes à l’ordinateur. Très curieuse d’un imaginaire enfermé dans une puce électronique, et fascinée par le fait que le rêve, la fantaisie et le rapport aux autres ne se conçoivent, pour certains, qu’en termes de logiciels et de programmation. Un mot qui, décidément, ne lui ressemble pas…
Du 14 au 24 octobre
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