Comme tout festival qui se respecte, celui du nouveau cinéma et des nouveaux médias s’est gardé quelques gros morceaux pour les derniers jours. Délais de production obligent, nous n’avons pu voir les «locomotives» du dernier week-end, mais les cinéphiles s’y retrouveront aisément, tant les signatures proposées sont, sinon des valeurs sûres, du moins porteuses d’univers personnels, marqués et originaux. Vingt ans après Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000, Alain Tanner reprend son personnage, cette fois-ci à l’aube du troisième millénaire, marié et chômeur. Précédé d’échos cannois élogieux, Ghost Dog: The Way of the Samourai, de Jim Jarmush, s’annonce comme un «polar comique» dans lequel un tueur à gages (Forrest Whitaker) se retrouve pris avec une famille mafieuse dysfonctionnelle. Alléchant.
Film de clôture, Rien sur Robert, de Pascal Bonitzer (Encore), met en scène Fabrice Luchini dans la peau d’un critique parisien dont la vie dégringole, après qu’il eut descendu un film sans l’avoir vu. On salive déjà de voir Luchini – regard allumé et diction parfaite – dans un rôle pareil, entouré de Sandrine Kiberlain, Michel Piccoli et Bernadette Laffont. Sortie en salle le 29 octobre. Parmi les films que nous avons pu voir, en voici quelques-uns qui méritent le détour ou qui, au contraire, n’ont pas tenu leurs promesses.
Juha
Une jeune fille pure (Kati Outinen) épouse un bon gars (Sakari Kuosmanen), fermier claudicant qui, à défaut de passion, lui offre stabilité et respect. Passe un citadin (André Wilms), sourire enjôleur et voiture sport, qui séduit la jeune épouse, l’emmène en ville, et s’avère être un souteneur sans scrupules. La brebis tombe enceinte du loup, accouche dans le plus grand secret, puis le fermier cocu débarque en ville, tue le souteneur à coups de hache et succombe aux balles tirées par sa victime.
Adaptée d’un classique de la littérature finlandaise, cette fable mélodramatique d’Aki Kaurismäki (J’ai engagé un tueur) prétend rendre hommage au cinéma muet. La forme (noir et blanc, aucun dialogue, sons d’ambiance choisis, musique omniprésente d’Anssi Tikanmäki) est adaptée, mais le fond reste obscur. Tenter, après des décennies de vacarme, de retrouver le sens du silence, et celui des «grands» sentiments, constitue un admirable point de départ, mais la démonstration est un peu lourde. «On ne peut plus faire des films comme Broken Blossoms ou Sunrise», confie Kaurismäki. Alors, pourquoi tenter de les refaire? Jumelée à la distanciation causée par le décalage entre l’âge des acteurs et celui des personnages, cette histoire d’innocence perdue, qui fait écho à celle du cinéma, amuse sans convaincre. Dommage. Sortie en salle le 29 octobre.
La Petite Vendeuse de soleil
Faisant vaillamment son chemin sur ses deux béquilles, une fillette sénégalaise d’une dizaine d’années (Lissa Baléra) décide de vendre des journeaux dans la rue, domaine jusque-là réservé aux garçons. Jalousies, voleurs, flics corrompus: la fillette fera face à l’adversité avec une énergie confondante.
Avec ses chansons improvisées, ses dialogues simples, le vacarme des rues ensoleillées, les cris des vendeurs de journaux, La Petite Vendeuse de soleil, de Djibril Diop Mambety, est bien plus près de l’esprit du cinéma muet que Juha. Avec la simplicité évidente des pionniers du septième art et l’aisance d’un cinéaste aguerri, Mambety ficelle en 45 minutes une histoire exemplaire, fait vivre un personnage fort et attachant, et, sans naïveté ni complaisance, rend hommage autant au cinéma qu’aux «petites gens» à qui ce film est dédié. Tel un élégant échassier, la petite Lissa Baléra porte le film sur ses épaules et l’habite d’une lumière rarement vue au grand écran. Un coup au coeur. (Présenté avec The School That Was Blown Away, de Mohsen Makhmalbaf).
The Book of Life
Le 31 décembre 99, Jésus (Martin Donovan) et Marie-Madeleine (P. J. Harvey), veston-cravate et sac de ville au dos, débarquent à New York pour rencontrer le Diable (Thomas Jay Ryan), et «dealer» avec lui l’Apocalypse prévue ce jour-là! C’est Papa qui va pas être content…
Faisant partie de 2000 vu par… (aux côtés, entre autres, de Last Night, de Don McKellar, et du Mur, d’Alain Berliner), série commandée par la chaîne Arte et Haut et Court, le dernier film d’Hal Hartley se démarque des préoccupations du cinéaste d’Amateur, tout en restant dans la même ligne. «Comédie biblique» tournée en vidéo numérique, The Book of Life est plus expérimental sur le plan des images et plus franchement drôle que tout ce qu’Hartley a fait jusqu’ici; mais on y retrouve son détachement ironique, un humour glacé qui, parfois, verse carrément dans l’absurde, un esthétisme épuré et une facture techno qui renouvellent l’univers de ce cinéaste new-yorkais de façon surprenante.
Cinéma vérité
Vers la fin des années 50, un nouveau courant cinématographique vit le jour: le documentaire d’auteur, cinéma direct au Canada, cinéma vérité aux États-Unis, Free cinema en Angleterre, cinéma libre en France. Tous rencontrés pour Cinéma vérité, Richard Leacock, Michel Brault, Jean Rouch, Karel Reisz, Pierre Perrault, Wolf Koenig, Frederic Wiseman, et plusieurs autres furent les chefs de file de ce mouvement qui aurait pu avoir comme devise cette phrase de Reisz: «Il faut vouloir ce qu’on obtient, plutôt que d’obtenir ce qu’on veut.»
Il est difficile d’évaluer à quel point cette façon de voir a influencé les images des 30 dernières années, au petit comme au grand écran, dans le documentaire ou la fiction, en journalisme ou dans les vidéoclips. Cinéma de l’instinct, recherche de la vérité, théâtre sans acteurs, le cinéma direct est directement responsable (pour le meilleur et pour le pire) des reality shows, d’émissions comme Pignon sur rue ou de films tels que The Blair Witch Project.
Présenté de façon chronologique, Cinéma vérité, de Peter Wintonick (Manufacturing Consent: Noam Chomsky et the Medias), est assez sage et didactique. Surprenant pour un film qui rend hommage à la liberté de ton et à l’audace… On vous en reparle plus en détail la semaine prochaine, à l’occasion de la sortie en salle.
Le gai savoir
Inévitablement inégaux, les courts métrages ont fait des heureux et causé des déceptions lors de la première semaine. Voici deux programmes qui valent, en tout ou en partie, le détour. À vos amours regroupe trois réussites dont on vous a parlé la semaine dernière (Décharge, de Patrick Demers; et Appelez-moi Alex, de Mario Bonenfant; Ketchup, de Manu Coeman et Ivan Goldschmidt), et Atomic Saké, de Louise Archambault, avec Audrey Benoît; S(he)it, de Lucie Phan et Béatrice Plumet; et Debutante, de Mollie Jones, malheureusement pas vus. Le vendredi 22, à 21 h 30, à la Cinémathèque.
Les festivals montréalais se multipliant, il est inévitable qu’ils se recoupent parfois. Le gai savoir pourrait bien faire partie d’Image et Nation gaie et lesbienne, qui a justement présenté, il y a quelques semaines, l’excellent film de Jean-François Monette, Where Lies the Homo?. En 34 minutes, le cinéaste montréalais raconte sa vie en juxtaposant des images de films emblématiques de la formation de l’identité homosexuelle (The Wizard of Oz, My Darling Clementine, The Wild Ones, Sabrina, Johnny Guitar, Midnight Cowboy, Cruising, etc.), et des extraits de Super-8 de famille. Un collage tantôt hilarant, tantôt poignant, qui prouve qu’on peut faire dans l’autobiographie sans tomber dans le nombrilisme. Intelligent et divertissant.
Avec un titre qui évoque une thèse sociologique, The Fall of Communism as Seen in Gay Pornography, de William E. Jones, aborde un sujet fascinant (la mort des idéologies vampirisées par l’indutrie porno qui a envahi l’Est), mais manque le bateau. On y apprend que Prague, Budapest et Moscou sont devenues de véritables meat market pour producteurs en mal de chair fraîche, que ces très jeunes Slaves gagnent le dixième de leurs confrères américains, et que vendre du Coke ou du cul, ça reste toujours du commerce. Ne dépassant jamais l’anecdotique, The Fall of Communism… est un bel exemple d’occasion ratée.
Jusqu’au 24 octobre
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