Fight Club : Les boys…
Cartoon nihiliste et destroy aux airs de pamphlet de fin de siècle, l’électrisant Fight Club, de David Fincher (Alien 3, Seven, The Game), vient encore nous prouver – comme si on en doutait… – qu’Hollywood peut récupérer absolument tout, de l’écoeurement des 25-35 ans au ras-le-bol face à la société de consommation, en passant par la haine refoulée d’une génération d’hommes si frustrés qu’ils cherchent désespérément une excuse pour pouvoir se taper dessus. Le tout, superbement emballé par un brillant fils de pub, qui s’est visiblement éclaté en dépensant tout ce que 65 millions de dollars peuvent acheter (Brad Pitt torse nu, des trucages numériques haut de gamme et les Dust Brothers à la musique…) afin de confectionner cet éclatant cocktail Molotov, lancé (mais désamorcé in extremis) à la gueule du système qui en a payé la facture – et qui est sûr d’en tirer d’énormes profits. Bref, du grand art.
De fait, cet étrange conte initiatique – sur un employé de bureau dépressif (excellent Edward Norton), qui fonde avec un rebelle charismatique (Brad Pitt) une société de «combats secrets» dont les membres poseront des gestes de plus en plus spectaculaires – est de ces films (comme A Clockwork Orange ou Natural Born Killers) qu’il faut avoir vus, indépendamment de leurs mérites, parce qu’ils reflètent, dans leur fond comme dans leur forme, le malaise de leur époque.
Est-ce à dire que cette adaptation du roman-culte de Chuck Palahniuk est vraiment, comme on l’a affirmé, «un film qui annonce l’avenir du cinéma» et «le premier film du prochain siècle»? Non. Il s’en faut même de beaucoup…
Après un début étourdissant qui frappe sur tout ce qui bouge (le train-train d’une vie qui asservit l’homme moderne; le vide existentiel de la culture IKEA-Gap-Starbucks; le ridicule des groupes d’entraide pour mâles pleurnichards…), et après avoir présenté l’étrange personnage féminin (joué par Helena Bonham-Carter) qui viendra compliquer cette histoire d’amour – à peine voilée – entre hommes, Fincher change de vitesse à mi-chemin, se met à chasser un plus gros gibier (le système), et commence à pousser ses personnages et le fight club vers des gestes de plus en plus incroyables et spectaculaires. Si incroyables et spectaculaires, en fait, que le film ne peut les justifier qu’à travers une pirouette scénaristique éléphantesque (du genre Angel Heart ou The Sixth Sense). Bref, comme The Game, le film commence à défaillir au moment même où il devrait trouver son sens. Dommage…
Reste le souvenir d’une oeuvre excentrique (sorte de Lauréat de la génération X), qui est à la fois une célébration et une dénonciation de la révolte masculine; un appel à la révolution et une mise en garde contre ses périls; et un gros film contre le monde du star-système et de la pub, où deux grandes vedettes salissent joliment leur image sous la direction élégante d’un maître de la pub!
Douteux et parfois risible sur le plan idéologique (surtout lorsque le fight club devient une sorte de mouvement néonazi), mais toujours audacieux et impressionnant sur le plan formel, Fight Club est un pamphlet en forme de bande dessinée, qui ressemble peut-être plus à son époque qu’il ne le voudrait: un gros divertissement ambitieux, paradoxal, à la schizophrénie éblouissante, qui fascine alors même qu’il s’autodétruit en tentant de réconcilier ses contradictions.
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