Boys Don’t Cry : Fille manquée
L’an dernier, au festival Image et Nation gaie et lesbienne, ceux et celles qui ont vu le documentaire The Teena Brandon Story sont restés rivés à leurs sièges devant cette histoire d’une jeune fille du Nebraska. Pourquoi? Parce qu’on y découvrait un personnage invraisemblable, mais véridique, celui de Teena Brandon, perdue au fin fond des States, persuadée d’être un homme, et qui a vécu selon ses croyances. Ni drag king ni névrosée sexuelle, Teena se coupe les cheveux, bande sa poitrine, et remplit son jean d’une paire de bas roulés, et devient Brandon. Ainsi attifée, elle ne demande qu’à vivre comme les autres: un petit boulot, la caisse de bière hebdomadaire, et de menus larcins pour se changer les idées. Arrêté pour un vol de voiture, Brandon fait face à la loi, qui ne badine pas avec les genres. Démasqué, il fuit à quelques centaines de kilomètres, rencontre des potes, et tombe amoureux d’une beauté locale qui ne se doute de rien. Tout va bien jusqu’à ce que le chat sorte du sac, et que les amis de la veille deviennent des bourreaux. C’est Brandon qui a menti, mais c’est Teena qui sera battue, violée, puis tuée. C’était à Noël, en 1993.
Six ans plus tard, Kimberly Pierce a tiré de cette histoire exemplaire un film beau et triste comme une légende. Beau grâce au talent de la scénariste et cinéaste (qui signe ici son premier long métrage), et à la dimension épique de l’épopée. Triste, car le Nebraska au mois de novembre – plaines désolées, ciels vides, routes longilignes, champs gris – , ça vaut bien l’Idaho du film de Gus Van Sant, auquel Boys Don’t Cry fait parfois penser. Même peinture d’une jeunesse ni révoltée ni intégrée, mêmes paysages vacants, même inexistence de tout ce qui n’est pas la survie. Dans ces conditions-là, être une fille prisonnière d’un corps de gars, refuser de le nier ou de se cacher, et refuser tout autant de s’exiler en ville, c’est s’exposer au danger, et provoquer l’Amérique dans ce qu’elle a de plus puritain.
Boys Don’t Cry est une fiction dépassée par la réalité. Heureusement, la réalisatrice a fait le seul choix possible, celui de la sobriété. Avec une histoire pareille, pas besoin d’en rajouter; on n’y trouve même aucun suspense, puisque, dès le départ, on connaît les enjeux. Tout est dans la façon d’amener le film à bon port. Si certains effets optiques à la My Own Private Idaho paraissent bien inutiles, le récit se déroule de façon inéluctable, porté par la performance exceptionnelle d’Hillary Swank, dans le rôle principal. Un peu sortie de nulle part, cette jeune comédienne parvient à incarner (au sens premier) ce personnage complexe et casse-gueule. Belle comme un adolescent et masculine sans caricature, elle parvient à faire exister Brandon Teena dès le premier coup d’oeil, lui conférant véracité et profondeur. Sa détermination frisant l’inconscience, son insouciance énergique, sa volonté de vivre comme elle l’entend sont autant de facettes d’une personnalité qui, finalement, aura eu plus de problèmes avec la société qu’avec son miroir. Sans jamais forcer le ton, Boys Don’t Cry est aussi un constat sans pitié sur un pays où la violence est trop souvent la seule réponse à toutes les questions, et une réflexion pertinente sur l’identité et les rapports conflictuels entre nature et culture.
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