

Bringing Out the Dead : Retour vers le futur
					
											Georges Privet
																					
																				
				
			Bringing Out the Dead, le roman autobiographique de Joe Connelly racontant 56 heures dans la vie d’un ambulancier en pleine crise existentielle, avait tellement de choses en commun avec Taxi Driver que l’on comprend aisément le producteur Scott Rudin d’avoir pensé à Martin Scorsese pour le porter à l’écran. Avec son héros solitaire et hanté (Nicolas Cage), qui arpente chaque nuit les rues de New York en nous décrivant les horreurs qu’il voit, et qui tente de sauver une junkie (Patricia Arquette) des griffes d’un trafiquant minable, Bringing Out the Dead est essentiellement Ambulance Driver, ou l’histoire de Travis Bickle, 23 ans plus tard. Bref, un autre chemin de croix new- yorkais, qui permet à Scorsese et Paul Schrader (le scénariste de Taxi Driver) de revenir sur un terrain riche mais aujourd’hui presque familier, pour aborder à nouveau des thèmes fascinants, qu’ils ont toutefois souvent explorés.
Bringing Out the Dead s’impose comme l’une de ces oeuvres de maturité dans lesquelles un auteur semble revisiter – de manière intéressante, mais prévisible – des préoccupations qu’il explorait autrefois avec le plaisir de la découverte, tout en cherchant encore son style. Or, ici, tous les éléments prévus sont en place et servis de la manière attendue: des incontournables références religieuses (le protagoniste se voit comme un «Sauveur», l’héroïne se prénomme Marie, et tous les hôpitaux portent des noms de saints) à l’utilisation inspirée de chansons qui couvrent un éventail toujours aussi vaste (du September of my Years de Sinatra, au T.B. Sheets de Van Morrison, en passant par des succès de UB40 et des Clash).
Certes, le film ne manque pas de qualités: les trois acteurs  qui incarnent les coéquipiers du héros (John Goodman, Tom  Sizemore et Ving Rhames) composent plusieurs vignettes  mémorables; le film regorge d’effets visuels hallucinants  (images en accéléré, trucages digitaux et surimpressions  bizarroïdes) qui en font l’oeuvre la plus éclatée de Scorsese  (évoquant d’ailleurs ironiquement les films de son ancien  élève, Oliver Stone, dont il emprunte ici le directeur de la  photographie, Robert Richardson); et deux scènes situées dans  l’antre du trafiquant (l’excellent Cliff Curtis) relèvent  clairement du meilleur Scorsese. Mais on a cependant trop  souvent l’impression que l’auteur se contente d’esquisser  habilement des thèmes qu’il fouillait jadis en profondeur, et  qu’il s’attaque de manière trop consciente à des idées qui  semblaient plus fortes quand elles étaient refoulées (la  narration du héros est si explicite que le film est comme un  rêve commenté par un psychanalyste!).
  Bien sûr, personne ne peut reprocher à un cinéaste de retourner  en territoire connu (surtout lorsqu’il est aussi brillant que  Scorsese, et qu’il se remet de l’échec d’une oeuvre, Kundun,  qui représentait un véritable changement de registre). Mais ce  film – un «bon Scorsese», sans en être un grand – n’est pas que  le récit d’un homme hanté par les morts qu’il n’a pas réussi à  sauver; c’est aussi une oeuvre hantée par le souvenir d’un  classique qu’elle rappelle constamment sans jamais pouvoir  l’égaler. Bref, une sorte de film-fantôme, roulant comme un  zombi à travers l’univers d’un auteur qui semble cette fois  éclipsé par le spectre d’un de ses propres chefs-d’oeuvre.
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