Des marelles et des petites filles : Jeux interdits
Dès le générique, à l’instant où Nazaré Pereira entame La Marelle de sa voix rocailleuse, complainte à la fois tendre et triste, on sait que la teneur du documentaire qui va suivre sera du même acabit… Des marelles et des petites filles, de Marquise Lepage, est un film qui se veut porteur d’espoir, mais qui laisse surtout désemparé et vaguement impuissant.
Pendant plusieurs mois, la réalisatrice de Marie s’en va-t-en ville et du Jardin oublié a sillonné la planète pour poser des questions à des fillettes. En six volets, on a un aperçu de l’enfer féminin: mariage précoce et précarité dans un bidonville de Jaipur, en Inde, avec Soni, 9 ans et Kamlesh, 10 ans; exploitation sexuelle en Thaïlande avec Mou et Yui, 11 et 12 ans; réclusion religieuse au Yémen avec Dalhal, 9 ans; travail domestique dans un bidonville de Lima au Pérou avec Esmeralda, 10 ans; mutilation génitale au Burkina Faso avec Fatou, 12 ans, Adjaratou 10 ans et Safi, 7 ans; et esclavage en Haïti avec Maude, 14 ans.
La liste est troublante, l’horreur, quotidienne, et les reportages sont parfois pénibles. Mais le film serait du voyeurisme lourd si Marquise Lepage n’avait pas usé de discrétion et de sensibilité pour aborder les sujets de façon directe. Elle a aussi choisi un moyen simple, la marelle, pour lier les fillettes entre elles. La marelle est un jeu ancestral, un jeu de filles qui se décline différemment dans tous les pays, mais qui est le symbole de l’enfance, du jeu et des rires. Dès qu’elle en a l’espace, la petite fille dessine une marelle, lance le caillou, va de la terre jusqu’au ciel, et l’insouciance revient. Le film est évidemment orienté d’un point de vue féministe. Un féminisme nécessaire puisque des chiffres viennent sans cesse rappeler en intertitres que les femmes sont les premières visées dans le monde en termes de souffrance, d’exploitation, de sévices et de tortures, mais un féminisme ouvert qui montre que si elles sont victimes, les femmes peuvent aussi être bourreaux.
Des marelles et des petites filles est éprouvant, et les réponses aux problèmes se perdent dans le fouillis des injustices sociales et économiques. Les fillettes plus «heureuses» sont celles qui ont l’amour de leurs parents. Les plus désemparées, déjà éloignées de l’humanité, ont été abandonnées et bafouées par père et mère. Les souffrances de ces gamines sont odieuses, mais leur courage et leur hardiesse surprennent encore. Comment une petite Yéménite peut-elle offrir un visage si joyeux, une rébellion si claire en affirmant qu’elle ne portera jamais le litham, voile qui couvre tout le visage, alors que toutes les femmes en portent? Comment une Péruvienne de 11 ans, qui sait que sa vie est d’une pauvreté sans nom, et qui n’a pas d’enfance, peut-elle désirer venir en aide, un jour, aux plus pauvres? Avec des mots de presque femmes, ces fillettes ont une volonté de survie et une foi inébranlable en la supériorité féminine! S’il y a un message d’espoir dans ce film sans détour, ce serait celui-là…
Les séances de 13 h seront suivies de débats animés, le 30 octobre, par Louise Deschâtelets, et le 31, par Madeleine Poulin.
À Ex-Centris
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