Cinémania : À mots ouverts
L’événement Cinémania a pour mandat de combler les cinéphiles anglophones en leur présentant un cinéma d’auteur francophone de qualité. Ces nobles intentions contribuent-elles pour autant à enrichir le milieu?
Cinémania, le festival des films de langue française présentés avec des sous-titres anglais, en est déjà à sa cinquième édition. Cette année, l’événement – qui se tient du 4 au 14 novembre, à l’auditorium Maxwell-Cummings du Musée des beaux-arts – offre une programmation de dix-neuf longs métrages (dont dix primeurs). Une programmation qui viendra encore combler un public apparemment friand de cinéma francophone, mais incapable de l’apprécier dans sa langue.
En cinq ans, Cinémania a pris beaucoup d’ampleur. En a-t-il toutefois pris assez pour affirmer – comme le fait sa directrice, Maidy Teitelbaum, dans le programme de l’événement – «qu’il est indéniable que le festival ait grandement contribué au développement du caractère merveilleusement cinéphilique de Montréal»? Ou bien encore qu’il ait aidé «à servir de rampe de lancement aux carrières de vedettes montantes telles Emma de Caunes (…) et Élodie Bouchez (…)»? Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela semble discutable…
En revanche, il est clair que ce «Sarasota du Nord» a concouru au rayonnement et la promotion locale d’un cinéma qui – malgré les efforts d’Unifrance et de Daniel Toscan du Plantier – semble en perte de vitesse depuis plusieurs années au Québec. À tel point que de nombreux films, qui auraient jadis aisément franchi l’Atlantique, ont du mal à se trouver un distributeur québécois aujourd’hui.
C’est ainsi qu’entre les versions sous-titrées de films déjà sortis sur nos écrans (comme Place Vendôme, Est-Ouest, Les Enfants du marais), et quelques avant-premières de films qui prendront l’affiche aux alentours du festival (tels que La Fille sur le pont de Patrice Leconte, Fin août, début septembre d’Olivier Assayas, et L’Île de Sable, le film québécois de Johanne Prégent), Cinémania nous permettra de découvrir quelques véritables primeurs nord-américaines (primeurs d’autant plus grandes que certains de ces films ne sortiront vraisemblablement jamais dans nos salles commerciales).
Tour de piste
Si l’on se fie aux films visibles au moment d’aller sous presse, la facture de ces œuvres est toutefois souvent – et malheureusement – assez décevante. Prenons, par exemple, La vie est dure, nous aussi de (et avec) Charles Castella – une tranche de vie si typiquement française qu’elle frôle l’autoparodie, et dans laquelle notre héros (interprété par le cinéaste lui-même, évidemment), une espèce de tendre glandeur à mi-chemin entre Gaston Lagaffe et Woody Allen, fait l’inventaire de ses bobos (et de ceux de ses copains) tout en cherchant pendant une heure et demie une fille qu’il a entrevue à un party. Une petite comédie existentielle, sympa mais molle, parfois marrante mais assez banale, qui n’a tout simplement pas ce qu’il faut (d’originalité, d’humour ou d’imagination) pour se démarquer de dizaines d’autres œuvres du même genre.
Ou citons le cas de Mon père, ma mère, mes frères et mes sœurs…, la première réalisation de l’actrice Charlotte de Turkheim – une comédie vieillotte et embarrassante, sur une femme (Victoria Abril, pourtant…) qui a eu trois enfants avec trois hommes différents (soit Marc Andréoni, Alain Bashung et le coscénariste Philip Giangreco) qui se trouvent réunis par sa mère au Mexique sous un faux prétexte afin de pouvoir enfin rencontrer leurs enfants… Que dire de cette farce poussiéreuse, tout en claquements de portes, en quiproquos convenus et en réconciliations mielleuses, qui mine maladroitement – et avec dix ans de retard – une veine tarie déjà par Les Compères, La Chèvre et autres Mon père ce héros? Que dire, sinon que même le charme légendaire de Victoria Abril ne parvient à la sauver du naufrage…
L’Hygiène de l’assassin, le premier long métrage du producteur François Ruggiéri (Subway), a au moins le mérite d’avoir nettement plus d’ambition. Il est cependant difficile de trouver beaucoup d’autres qualités à cette œuvre présentée comme un film «librement trahi» du roman d’Amélie Nothomb, car cette trahison, pour «libre» qu’elle soit, s’avère aussi malheureuse que maladroite. De fait, ce pénible huis clos opposant un vieil écrivain meurtrier (Jean Yanne, délicieusement égal à lui-même) à une jeune journaliste vengeresse (la fade Barbara Schulz) prouve qu’un film de soixante-sept minutes peut rapidement sembler très long. Filmé à grand renfort d’objectifs déformants, d’angles biscornus et de mouvements de caméra frénétiques, cet échange de dialogues brillants s’évapore dans une brume d’images décousues, où les effets à la Besson et les aphorismes à la Godard se noient dans la fadeur esthétique d’une production logée à l’enseigne de la pub. Pénible.
Rembrandt
Dans ce désert d’intérêt, les plaisirs convenus de Rembrandt de Charles Matton font presque figure d’oasis… Non pas que l’on soit franchement impressionné par ce long métrage de Matton (qui est lui-même peintre et a déjà signé trois films dont L’amour est un fleuve en Russie, mieux connu sous le titre de Spermula!). De fait, cette superproduction européenne a tous les défauts du genre: de l’académisme de la mise en scène à l’improbable mélange des accents, en passant par l’artificialité de la reconstitution d’époque (certaines scènes «extérieures» sont visiblement tournées en studio, et l’auteur a eu l’idée douteuse de «refaire» plusieurs toiles du maître à l’image des acteurs qu’elles sont sensées représenter – ce qui nous vaut entre autres une Leçon d’anatomie du docteur Tulp où figure Jean Rochefort!).
Toutefois, ces réserves importantes s’estompent quelque peu devant l’intérêt que génère (lentement mais sûrement) ce film aux airs de mini-série, qui repose sur un scénario classique mais solide, et où une vie et une œuvre passionnantes sont bien mises en valeur par une distribution talentueuse: avec, dans le rôle-titre, Klaus Maria Brandauer, mais aussi Johanna Ter Steege, Caroline Sihol, Jean-Philippe Écoffey, ainsi que Romane et Richard Bohringer. Car même illustrée à la manière d’une «peinture à numéros», la vie de Rembrandt reste un sacré roman; et même si le film de Charles Matton est loin d’être la réussite qu’il aurait pu être, il s’impose néanmoins comme l’une des meilleures primeurs de cette édition.
Train de vie
La plus intéressante «découverte» du festival reste toutefois Train de vie, l’audacieuse comédie de Radu Mihaileanu (Trahir) qui nous transporte en 1941, dans un village juif d’Europe de l’Est dont les habitants décident de fuir les nazis en organisant un faux train de déportation. Conçu bien avant La vie est belle (le scénario avait même été proposé à Benigni!), Train de vie a le malheur de sortir un an après, et de suivre de peu l’échec retentissant de Jakob The Liar. Pourtant, cette comédie «chaplinesque» (qui a gagné une dizaine de prix, dont celui de la critique au Festival de Venise) est une œuvre inégale mais généralement réussie, qui n’a pas grand-chose à voir avec les deux autres films mentionnés. Portée par un scénario classique mais bien construit et par la musique énergique de Goran Bregovic (le compositeur de Kusturica), cette comédie hors normes est une agréable surprise sur laquelle nous reviendrons d’ailleurs la semaine prochaine, au moment de sa sortie en salle. En attendant, le film de Radu Mihaileanu s’impose malheureusement comme l’une des rares primeurs vraiment recommandables de la programmation décevante de cette cinquième édition de Cinémania.
Du 4 au 14 novembre
À l’auditorium Maxwell-Cummings du Musée des beaux-arts
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