

L’Autobiographe amateur : Faire image
					
											Georges Privet
																					
																				
				
			Après Le Voleur de caméra (1992), et sa participation à Un film de cinéastes (1995), Claude Fortin poursuit sa réflexion sur la difficulté de se faire ses propres images (surtout quand on est un cinéaste québécois…) dans son deuxième long métrage, L’Autobiographe amateur, un second film racontant les événements qui ont suivi la sortie de son premier…
Autobiographie? Canular? Mise en abime ou radiographie d’un  certain cinéma? Disons que ce petit film erratique, décousu,  inégal, mais néanmoins sympathique, est un peu tout cela à la  fois. Fractionnant sa vie à la manière maintes fois imitée de 8  1/2 (le film pourrait s’appeler 2 1/8), Fortin joue et filme  son existence à la façon (mais sans les moyens, ni le génie)  d’un Woody Allen ou d’un Nanni Moretti: il se met en scène avec  sa blonde et sa productrice (jouée par sa blonde et sa  productrice, Brigitte Lacasse); il raconte les premières années  de sa vie à travers de vieux films de famille, mais aussi par  l’entremise de reconstitutions pince-sans-rire (qui nous valent  le spectacle d’un Fortin, adulte, se «jouant» à l’âge de huit  ans, dans la cour d’école!); il se filme discutant avec ses  parents et ses amis (parmi lesquels les cinéphiles montréalais  reconnaîtront quelques figures de la scène locale, comme  Jacques Leduc, Pierre Goupil, Richard Brouillette et Barbara  Ulrich); et il nous explique en long et en large les  circonstances entourant l’obtention d’une prime récompensant le  scénario d’un film (scénario inexistant, puisqu’il a été  «écrit» au montage), qui sert à l’écriture d’un second film  racontant par la fiction (mais Fortin n’arrive pas à  «fictionnaliser») les événements qui ont suivi la sortie du  premier (c’est confus, mais ne vous inquiétez pas, ça se suit  plutôt bien à l’écran…).
  On comprendra aisément que ce film qui essaie de faire  plusieurs choses à la fois ne les réussit pas toutes également:  la partie relatant les données les plus personnelles de la vie  du cinéaste (la vie de ses parents, sa jeunesse, ses études…)  est réussie mais n’intéressera pas tout le monde; l’inventaire  minutieux des événements entourant le tournage, la sortie et le  prix récompensant Le Voleur de caméra est si exhaustif (même  Mon oncle Antoine n’a pas été examiné avec un tel luxe de  détails!) qu’il finit par devenir lassant; et la portion  «journal intime d’un cinéaste en crise», bien que souvent drôle  et touchante, s’éternise tout de même un peu trop. D’autant  plus que Fortin se demande, lors d’une scène avec Pierre  Goupil, comment il fera pour «étirer» son film au-delà d’une  demi-heure, alors qu’il dure en fait 116 minutes!
Là où le film est très fort en revanche (et même assez unique), c’est dans son portrait d’un homme et d’un groupe de gens qui réclament le droit de se donner leurs propres images dans un monde si prompt à les leur enlever. Le film se termine d’ailleurs en beauté, avec des images de la naissance de l’enfant du couple, moment de grâce où l’ouvre est portée par le simple bonheur d’être, de vivre et de filmer (sans scénario et sans autre raison que le plaisir, loin des majors, des institutions et des critiques). Ces moments de grâce (rares, mais réels) font que l’on pardonne presque ses défauts à ce film brouillon, qui transmet avec force le plaisir – et surtout la douleur – d’un certain cinéma à accoucher de ses images…
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