Le Bleu des villes : La couleur du temps
Mariée depuis cinq ans à Patrick (Antoine Chappey), qui travaille à la morgue, Solange (Florence Vignon) donne des contraventions de stationnement dans une ville de province. Le couple va emménager dans une petite maison qu’il a fait construire; Solange se filme en cachette chantant de vieux succès à l’aide de disques de karaoké (cachés dans la boîte de savon à lessive!); Patrick se rend bien compte que sa femme n’est pas heureuse, mais étant donné qu’elle n’est pas non plus malheureuse, il laisse aller. Jusqu’à ce que Mylène (Mathilde Seigner), une amie d’enfance de Solange devenue présentatrice météo à la télé, passe par là, en tournée de promotion pour un livre autobiographique. Ce sera l’étincelle qui mettra le feu aux poudres, et redonnera l’espoir à la petite contractuelle provinciale de réaliser un vieux rêve d’enfance.
Il arrive qu’un film débarque sans tambour ni trompette, un film sans grand sujet ni grande vedette, sans morceaux de bravoure ni révolution de l’image, sans scandale ni message. Un film tout en demi-teintes et en nuances qui raconte la vie de gens ordinaires sans l’être pour autant. Le Bleu des villes, de Stéphane Brizé, est de ceux-là. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, ce premier long métrage se déroule avec la tranquillité d’une journée sans accroc. Même dans la seconde partie, alors que Solange va ruer dans les brancards, le film ne s’emballe pas et garde cette indolence propre aux villes de province – placidité souvent trompeuse d’ailleurs… Fidèle à son personnage central, Le Bleu des villes fait son petit bonhomme de chemin, et les soubresauts de l’intrigue se font sans heurt, comme une rivière calme dont le cours devient plus sinueux.
Le couple présenté ressemble à des milliers de couples semblables: les deux travaillent, choisissent le carrelage de la cuisine ensemble, rendent visite aux parents pour préserver la paix du ménage, observent un rituel si quotidien qu’on ne le remarque même plus. La finesse du scénario et des dialogues de Stéphane Brizé et de Florence Vignon, coscénariste, c’est de filmer ce ballet mécanique sans le rendre ennuyant. Ils forcent le trait (superbe et terrible repas d’anniversaire chez les beaux-parents) sans jamais tomber dans la caricature; ils font dans le naturel sans verser dans le naturalisme, comme dans la scène (touchante sans être sentimentale) où Solange lit, aux obsèques de sa grand-mère, une recette de gâteau que la vieille dame aimait entendre de la bouche de sa petite-fille.
Si la mise en scène s’efface derrière l’histoire, on peut en dire autant de Florence Vignon qui, sans éclat et avec une sobriété remarquable, fait vivre cette femme qui rappelle la Dentellière d’Isabelle Huppert ou la Provinciale de Nathalie Baye. Avec un physique hors d’âge, entre la modernité d’une Marie Trintignant et le classicisme d’une Arletty, elle habite Solange plus qu’elle ne l’incarne, parvenant à donner l’illusion que Le Bleu des villes est un documentaire sur un personnage imaginaire. Un vrai «beau petit film», qui fait impression sans impressionner.
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