L'Initié : Passage à tabac
Cinéma

L’Initié : Passage à tabac

L’histoire vraie de Jeffrey Wigan (Russell Crowe), «l’initié» qui s’attira les foudres des compagnies de tabac en dévoilant leurs pires secrets aux caméras de 60 Minutes, et du producteur Lowell Bergman (Al Pacino) semble, à première vue, rejoindre le schéma des grands suspenses paranos des années 1970 (The Parallax View, All the President’s Men, Three Days of the Condor): deux hommes – presque seuls contre tous – tentent d’utiliser la liberté de presse pour dénoncer les abus d’un pouvoir qui menace le bien commun.

Mais, contrairement à ces classiques, L’Initié se déroule dans un passé récent (en 1995), à une époque où la poursuite du profit commence à brouiller la frontière entre la presse et le show-business, où la liberté de presse se trouve assujettie aux profits des corporations et où les grandes compagnies se fondent dans des conglomérats incestueux. Bref, à une époque où l’info-spectacle, le capitalisme sauvage et la concentration des pouvoirs font de la liberté de presse un principe (un mythe?) plus fragile que jamais.

La complexité de ce problème, bien contemporain et bien réel, constitue tout l’intérêt du film bicéphale de Michael Mann (créateur de Miami Vice et réalisateur de The Last of the Mohicans ainsi que de Heat). Bicéphale, parce que L’Initié tente d’être deux films à la fois: un thriller parano classique, offrant les frissons d’un combat épique à la David contre Goliath (filmage héroïque, musique pompière, histoire qui s’étire sur 2h35); mais aussi une réflexion plus nuancée (et plus intéressante) sur les problèmes de la liberté de presse à l’époque de la concentration des pouvoirs. Ironiquement, le film brille dans les scènes de négociation où il montre les jeux de coulisses qui opposèrent les gens de CBS aux géants du tabac, mais aussi à leurs propres patrons.

Avec le résultat que cette ouvre inégale, mais toujours prenante (car elle s’appuie sur une histoire exemplaire aux enjeux bien actuels) tente constamment de fondre en un seul film deux objets très différents: une dénonciation tapageuse des périls de l’info-spectacle (dont elle partage le goût des effets gratuits et de l’hyperbole) et une exploration complexe des problèmes que pose la concentration des pouvoirs (où son approche parfois documentaire rejoint presque les fictions de Kafka). La schizophrénie du film est particulièrement évidente dans son portrait ambigu du journaliste Mike Wallace (Christopher Plummer), que Mann – essayant visiblement de ménager la chèvre et le chou – dépeint tantôt comme un homme de principes obstiné, tantôt comme une larve vendue au plus offrant.

Employant avec un bonheur inégal de prestigieux acteurs de soutien (certains gaspillés, comme Lindsay Crouse, Diane Venora et Rip Torn; d’autres bien utilisés, comme Gina Gershon, Colm Feore et Michael Gambon), L’Initié est une production luxueuse mais ronflante, qui se perd parfois dans la recherche du spectaculaire. Heureusement, la force tranquille de Russell Crowe (qui s’est fait ici la tête d’un jeune Gene Hackman) et l’intensité nerveuse d’un Pacino en grande forme prêtent à cette histoire vraie une énergie et une émotion qui lui rendent beaucoup de son urgence. D’autant que la fin – heureuse, mais subtilement teintée d’un pessimisme bien compréhensible – n’a vraiment pas de quoi vous donner foi en l’avenir d’une presse libre…

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