Mansfield Park-Patricia Rozema : Raison passion
Cinéma

Mansfield Park-Patricia Rozema : Raison passion

Avec Mansfield Park, Patricia Rozema a su imprimer sa marque à une histoire d’un autre temps. En prenant des libertés avec le livre de Jane Austen, la cinéaste torontoise est restée fidèle à elle-même. Une belle réussite.

Pour les gens familiers de l’oeuvre de Jane Austen et des films de Patricia Rozema, il paraissait étrange que la seconde ait voulu adapter un roman de la première. La réalisatrice du Chant des sirènes et de When Night Is Falling n’est, en apparence, pas très portée sur le film historique, et sur la vision qu’une auteure britannique du début du 19e siècle a pu avoir de la condition féminine. En effet, lorsque Miramax lui proposa le scénario de Mansfield Park, Patricia Rozema le refusa, mais s’engagea à en écrire un autre. «J’ai travaillé dans une solitude splendide, pensant qu’ils m’avaient oubliée! Ça m’a donné une liberté extraordinaire dans l’écriture», raconte-t-elle, rencontrée au dernier Festival des Films du Monde où son film fut présenté en première mondiale.

On retrouve, dans Mansfield Park, les mêmes jeux de pouvoir et de séduction que dans Sense and Sensibility, les mêmes tiraillements entre la raison et la passion que dans Persuasion. Depuis l’âge de dix ans, Fanny Price (Frances O’Connor) vit à Mansfield Park, élevée par son oncle (Harold Pinter) qui a fait fortune avec des plantations antillaises. Ni tout à fait servante, ni tout à fait aristocrate, la jeune femme écrit en secret des histoires enflammées, et tente de trouver sa place entre l’aîné alcoolique et révolté (James Purefoy) et le cadet (Johnny Lee Miller), secrètement amoureux de Fanny. Le séjour d’un frère et d’une soeur arrivistes (Allessandro Nivola et Embeth Davidtz) et les chassés-croisés amoureux qui s’ensuivent (alors que Fanny devient une fiancée éligible) vont bouleverser le fragile équilibre de ce monde dont les valeurs périclitent rapidement.
Malgré les apparences, Mansfield Park est bien un film de Rozema, mais il a fallu que la cinéaste torde le cou à l’histoire originale, et remodèle son personnage principal. «Dans le roman, Fanny Price est discrète au point d’être irritante. Je n’aurais pas fait un film sur quelqu’un comme ça. Alors, plutôt que de lui imaginer des qualités, j’ai pris celles de Jane Austen.» La réalisatrice en a donc fait une jeune femme fougueuse, partagée entre la reconnaissance et la révolte, et qui écrit des petites histoires extrêmes et mélodramatiques; des écrits qui sont ceux de Jane Austen adolescente, bien loin de la réserve que l’auteure pratiquera plus tard. «J’aime beaucoup lire les premiers écrits, ce qu’un auteur a écrit avant d’être connu, avant qu’il y ait des attentes. Chez Jane, c’était exubérant et complètement antisentimental.»

Deux caractéristiques qui peuvent s’appliquer au film: on retrouve, dans Mansfield Park, l’humour, tantôt mordant, tantôt complice, de la cinéaste torontoise; la délicatesse avec laquelle elle dissèque les sentiments humains; et une sensualité, un amour des matières, des formes et des couleurs qui percent dans le moindre détail, qu’il s’agisse d’une nuque tendue ou d’une étoffe chamarrée. On y découvre aussi une fougue et une assurance nouvelles, comme si ce premier film de commande avait libéré quelque chose de vital chez une cinéaste qu’on a souvent qualifiée de cérébrale.

Si Rozema aurait gagné à resserrer son film à certains endroits, elle est devenue par contre une directrice d’acteurs hors pair (Frances O’Connor ressort du lot, et la distribution est uniformément excellente) et elle manie avec une aisance remarquable ce mélange de genres entre le film d’époque et le film d’auteur, imprimant son univers et sa manière à une histoire dont elle a respecté l’esprit sinon la lettre. «Le défi à relever était de ne pas faire un "Jane Austen film", parce que la majorité des gens n’en ont rien à foutre!» lance Rozema, l’oeil vif. «Les films d’époque glorifient trop souvent le passé au détriment du présent, surtout les films anglais! Je veux comprendre et montrer le monde dans lequel je vis. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour minimiser les différences entre notre époque et celle durant laquelle se passe le film. J’ai d’abord situé l’histoire de nos jours, et après, je l’ai transposée au 19e siècle.»

Comme presque tous les films de Rozema, Mansfiel Park s’achève sur une note d’espoir, même si elle est, ici, teintée d’ironie. La cinéaste se défend bien de voir à tout prix la vie en rose, mais prône un optimisme lucide. «On a besoin de savoir qu’on va finir de façon horrible (en fait, on pourrit!) parce que ça ajoute à la beauté de chaque moment. Mais on doit aussi savoir que lorsqu’on est battu et abattu, "le matin viendra". C’est vrai que je finis mes films sur cette note où "le jour renaît". Je pourrais faire le contraire parce qu’il arrive des choses dures dans mes films, mais tout dépend où on choisit d’arrêter l’histoire. Selon que le personnage s’est sorti d’une mauvaise passe ou non, ça donne une comédie ou une tragédie.»

Voir calendrier
Cinéma exclusivités