The Straight Story : Le grand chemin
Cinéma

The Straight Story : Le grand chemin

L’auteur de Lost Highway, l’un des road movies les plus audacieux et les plus inclassables de l’histoire du cinéma, signe ici l’un des road movies les plus linéaires et les plus lents que l’on puisse imaginer.

Lorsqu’on apprend qu’un cinéaste aussi original, sombre et excentrique que David Lynch – réalisateur d’Eraserhead, Blue Velvet et Wild at Heart – signe un film qui s’intitule The Straight Story (ou même Une histoire vraie, pour reprendre son titre français), on a tendance à croire à un canular, à une blague un peu tordue ou à une satire pince-sans-rire. Surtout quand on comprend que The Straight Story raconte l’histoire (effectivement vraie) d’Alvin Straight (Richard Farnsworth), un monsieur de 73 ans, qui décida un jour d’aller voir son frère malade, avec qui il était brouillé depuis dix ans, en utilisant – pendant six semaines et des centaines de kilomètres – le seul moyen de transport à sa disposition: une vieille tondeuse à gazon…

On est donc forcément surpris de découvrir que l’auteur de Lost Highway, l’un des road movies les plus audacieux et les plus inclassables de l’histoire du cinéma, signe ici l’un des road movies les plus linéaires et les plus lents que l’on puisse imaginer: une méditation classique sur la famille, la vie et la mort, qui roule en pépère (à sept kilomètres/heure!) à travers une Amérique de carte postale, dans un film dont le héros, les décors et le ton ne sont pas sans rappeler les westerns élégiaques de John Ford.

Assagi, le père de Twin Peaks? Pas vraiment, ou du moins, pas complètement… L’excentricité patentée de Lynch est toujours là, mais en sourdine. On la retrouve dans le portrait à la Blue Velvet de la banlieue-dortoir où Straight vit avec sa fille attardée (Sissy Spacek, peu convaincante); ou bien dans la rencontre de Straight avec une automobiliste affolée (Barbara Robertson), qui vient d’écraser son treizième daim en quelques semaines; ou encore dans toutes ces manifestations d’une Amérique désemparée (une adolescente enceinte fuyant ses parents, d’immenses camions roulant à tombeau ouvert, des banlieusards pique-niquant devant un incendie…), qui traversent rapidement un récit rectiligne dont Lynch préfère plutôt explorer les marges lentement.

Surprenant par son absence complète de surprises, et désorientant par sa linéarité extrême, The Straight Story est une oeuvre qui appartient à la veine plus humaniste du cinéma de David Lynch (celle d’Elephant Man, par exemple). Mais là où ce film superbe parvenait à émouvoir profondément, et à créer un univers visuel mémorable, The Straight Story illustre avec élégance (mais de façon prévisible) l’histoire d’un homme sans autre distinction que la droiture qui définit jusqu’à son nom: un brave cow-boy en Stetson qui dispense des perles de sagesse, comme un Yoda des grandes routes, à des gens dont il transforme – selon un schéma quasi spielbergien – à jamais l’existence: l’ado enceinte retournera chez ses parents; deux frères chamailleurs se réconcilieront; et un vétéran de la Seconde Guerre mondiale se libérera de ses souvenirs les plus douloureux. Le résultat est un film tellement straight qu’il en devient bizarre, sans l’être toutefois assez pour être vraiment atypique.

Du coup, on se dit que ce «middle of the road movie», ce curieux western arthritique, est peut-être, effectivement, le manifeste doucement ironique d’un provocateur pour lequel le retour aux «vraies valeurs» représente l’ultime tabou: une sorte d’Easy Rider du troisième âge offert comme un baume à une Amérique vieillissante, qui a remplacé la révolte en moto par la réconciliation en tondeuse à gazon.

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