American Movie : Rêve à vendre
Imaginez un cinéaste pathétique à la Ed Wood devenant le sujet d’un documentaire excentrique à la Roger and Me, et vous avez l’essence d’American Movie.
Imaginez un cinéaste pathétique à la Ed Wood devenant le sujet d’un documentaire excentrique à la Roger and Me, et vous avez l’essence d’American Movie – le savoureux documentaire de Chris Smith sur un jeune cinéaste d’horreur nommé Mark Borchardt, qui convainc sa famille, ses amis et quelques rêveurs de l’aider à terminer un petit film d’horreur fauché, qu’il a abandonné plusieurs années auparavant.
Mark Borchardt n’en était pas à son premier abandon au moment où Chris Smith a commencé son film. C’est d’ailleurs ce qui en fait un Don Quichotte particulièrement émouvant. À 33 ans, Borchardt est un slacker de premier ordre, dont la vie est plus terrifiante que ses films: il vit chez ses parents, séparé de sa femme et de ses enfants; se remet de trois années dans l’armée et de sérieux problèmes d’alcoolisme; et a entamé – mais rarement fini – plusieurs courts métrages d’horreur qui mêlent son dégoût d’une certaine Amérique (celle du Nord-Ouest, où il est né) à son admiration pour des films comme Night of the Living Dead et The Texas Chainsaw Massacre. Ah oui, j’oubliais: il travaille aussi à temps partiel au cimetière, car, explique-t-il dans un moment de candeur stupéfiante, «c’est un endroit où les gens deviennent enfin des êtres humains décents»!
Heureusement pour lui, Borchardt reçoit l’aide de quelques bonnes âmes pour l’aider à concrétiser son rêve: d’abord, son vieil ami Mike Schank, un «metal head» perpétuellement gelé qui semble sorti de Wayne’s World et qui évoque un Sancho Pança sur l’acide; et son cher oncle Bill (82 ans!) qui devient, à grands coups de «prêts», le producteur exécutif récalcitrant de Coven, le film d’horreur que Borchardt réalise, mais dont il s’avère incapable (comme ses «vedettes» le lui feront d’ailleurs remarquer) de prononcer correctement le titre… Avec une telle équipe, si peu de moyens et un projet aussi dérisoire, on s’attend évidemment à un documentaire en forme de «freak show», une sorte de version hard de Living in Oblivion (ce que le film est effectivement parfois). Mais Smith éprouve tant d’affection pour son sujet que son film devient vite beaucoup plus: le portrait attachant d’un homme forcé de compenser en persévérance ce qu’il ne semble pas avoir en talent; une réflexion sur la poursuite du rêve américain et sur ceux qui sont relégués à ses marges; et une œuvre qui en dit plus (à sa manière crue) sur ce qu’il en coûte vraiment de faire du cinéma que Le Mépris, La Nuit américaine ou Two Weeks in Another Town.
Saisir la magie du cinéma est une chose admirable, mais relativement facile, quand on a devant sa caméra quelqu’un comme Bardot, Jacqueline Bisset ou Kirk Douglas. Y arriver quand on a devant soi Mark Borchardt tient, en revanche, du miracle! De fait, le plus grand triomphe du film de Smith n’est pas de nous faire rire (comme il le fait très souvent) des mille et un problèmes d’un cinéaste tragi-comique, mais de nous faire croire (comme il y arrive aussi parfois) que Borchardt a effectivement une chance de réussir. D’ailleurs, le pauvre homme a fini par compléter son film: le générique d’American Movie se termine même avec l’adresse où l’on peut s’en commander une copie!
Conjuguant tragi-comédie, «making of» et infopub, American Movie est donc un film bien de son époque: un objet inclassable qui est à la fois une réflexion ironique et une célébration paradoxale de la poursuite d’un rêve qui tourne parfois au cauchemar.
Dès le 7 décembre