

La Petite Vendeuse de Soleil-La Vie sur Terre : La vie qui bat
Programme double africain, à Ex-Centris: La Vie sur Terre, d’ABDETTAHMANE SISSAKO, regard inédit sur l’an 2000; et La Petite Vendeuse de Soleil, de DJIBRIL DIOP MAMBÉTY, un moyen métrage vibrant, qui est aussi une belle leçon de cinéma.
					
											Éric Fourlanty
																					
																				
				
			Vous ne connaissez probablement pas les noms de Djibril Diop Mambéty et d’Abdettahmane Sissako, cinéastes respectivement sénégalais et mauritanien. Et pour cause: hormis les Journées du cinéma africain et créole, et de rares présences dans les festivals, le cinéma d’Afrique est pratiquement absent de nos écrans. Ce qui est également vrai du cinéma mondial non anglophone (à de rares exceptions près); mais ça, c’est une autre histoire…
Pour ce qui est de l’invisibilité du cinéma africain sur nos côtes, on invoque une lenteur dans la narration qui donnerait supposément des boutons au spectateur nord-américain; des moyens de production minimes qui ne font pas le poids face aux normes hollywoodiennes; des sujets qui semblent bien loin des «préoccupations» occidentales; et un ton naïf et maladroit qu’on étiquette un peu trop rapidement sous le label politiquement correct de «fable poétique»…
Il est vrai que si ce sont les films d’action qui vous allument, La Petite Vendeuse de Soleil et La Vie sur Terre refroidiront vos ardeurs. Mais si la curiosité vous pousse de l’avant, vous découvrirez deux moyens métrages (présentés l’un à la suite de l’autre) qui valent le détour. Surtout le premier.
Gagnant, au dernier Festival du nouveau cinéma, du Prix du  meilleur court ou moyen métrage, La Petite Vendeuse de Soleil  met en vedette Sili (Lissa Baléra), une fillette de Dakar d’une  dizaine d’années qui, malgré une jambe rendue folle par la  polio, décide de vendre des journaux à la criée dans la rue,  domaine jusque-là réservé aux garçons. Jalousies des gamins,  voleurs à la tire, flics corrompus, grand-mère aveugle qui  psalmodie sur le trottoir: sautillant sur ses deux béquilles  avec l’élégance et la dignité d’un petit échassier têtu, la  fillette fera face à l’adversité avec une énergie confondante.  Et connaîtra la solidarité joyeuse et grave de ceux et celles  qui n’ont plus grand-chose à perdre.
  À vue de nez, l’intrigue semble verser dans le pire des  mélodrames, chronique exotique d’une Cosette des temps  modernes, fable moralisatrice bourrée de bons sentiments. C’est  là que Djibril Diop Mambéty s’avère être un magicien et qu’il  réussit un coup de maître. D’abord en travaillant avec les  enfants des rues, et en évitant tout cliché, puis en posant un  regard d’une compassion et d’une lucidité exemplaires sur une  situation facilement réductible à ses aspects les plus  spectaculaires. Reconnus (à défaut d’être connus), les films de  Mambéty (Touki, Bouki, Hyènes, Le Franc) ont participé à de  nombreux festivals, de Cannes à Moscou, en passant par  Varsovie, Chicago ou Tokyo. Malgré ses 45 minutes hors norme,  La Petite Vendeuse de Soleil fut projeté dans près d’une  quarantaine de festivals. Avec ses chansons improvisées, ses  dialogues simples, le vacarme des rues ensoleillées, les cris  des vendeurs de journaux, ce film fait preuve une simplicité  qui cache une vraie réflexion, et vibre d’une énergie incarnée  par la petite Lissa Baléra, qui porte le film sur ses épaules  et l’habite d’une lumière rarement vue au grand écran. Il faut  la voir soutenir du regard un commissaire de police, se relever  après avoir été bousculée par les petits vendeurs envieux,  danser sur ses béquilles avec un abandon et une gaieté qui  évoquent l’euphorie des meilleures comédies musicales. Petit  chef-d’œuvre posthume (Mambéty est mort en juillet 98, pendant  le tournage), La Petite Vendeuse… rend hommage, sans naïveté  ni complaisance, aux «petites gens» à qui ce film est dédié;  mais aussi au cinéma dont il redécouvre les qualités  premières.
Produit dans le cadre de 2000 vu par… (la série commandée par la chaîne culturelle franco-allemande Arte et la maison de production et de distribution Haut et Court), La Vie sur Terre explore un autre registre. À l’origine, le projet consistait à faire la chronique du retour d’Abdettahmane Sissako, cinéaste mauritanien vivant en France, dans le village malien de Sokolo, afin d’y retrouver son père. Finalement, La Vie sur Terre est un film inclassable dans lequel documentaire et fiction se mêlent pour parler de poésie et de politique, de communication et de pérennité, de l’avenir et des racines.
Portrait impressionniste d’un village à travers ses habitants (de l’animateur de radio au postier, en passant par le soldat, l’agriculteur, le photographe, le coiffeur et le tailleur), ce film attachant, mais parfois bancal, pose un regard sur l’Afrique, qui évite le folklore autant que l’idéalisation, se construisant au gré des rencontres, comme celle de la superbe Nana Baby qui a littéralement fait irruption dans le film, en entrant, un jour, juchée sur son vélo, dans le cadre de la caméra. Ponctué de textes d’Aimé Césaire, c’est aussi un réquisitoire contre le silence et l’aveuglement d’un monde qui ignore et méconnaît le «berceau de l’humanité». Un réquisitoire sans amertume dans lequel Sissako célèbre la beauté tranquille de ce village hors du temps, mais aux prises avec des difficultés résolument modernes.
À Ex-Centris
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