Sunshine : Recette d’autrefois
Sunshine, le nouveau film d’Istvan Szabo (Mephisto), est une grande saga historique, coproduite par la Hongrie, l’Allemagne, le Canada et l’Autriche, qui repose sur une métaphore si transparente qu’elle donne même son nom à la famille de ses protagonistes.
Il y a des métaphores qui arrivent pratiquement à couler des films…
Prenez, par exemple, celle qui est au coeur de Sunshine, le nouveau film d’Istvan Szabo (Mephisto), une grande saga historique, coproduite par la Hongrie, l’Allemagne, le Canada et l’Autriche, qui repose sur une métaphore si transparente qu’elle donne même son nom à la famille de ses protagonistes.
Aaron Sonnenschein (dont le nom veut dire «sunshine», ou «rayon de soleil» en allemand) est le patriarche d’un vaste clan dont le film de Szabo suit l’évolution complexe – et souvent intéressante – à travers trois générations. Ce qui permet d’ailleurs à Ralph Fiennes de jouer à la fois le jeune Ivan, son père Adam et son grand-père Ignatz!
Mais Sonnenschein ne se contente pas d’avoir un nom qui veut dire «rayon de soleil», il fabrique aussi un tonique magique (qu’il commercialise) dont le goût possède les mêmes propriétés bonifiantes, et que ses nombreux descendants (dilapidant symboliquement son héritage) oublieront, au point d’en égarer la recette…
Du coup, Sunshine devient l’histoire de la quête – littérale – de cette mythique recette du bonheur perdu au fil des générations, qui animera les Sonnenschein à travers 150 ans, deux guerres mondiales et d’innombrables infortunes, allant de l’antisémitisme au stalinisme.
À l’arrivée, Sunshine n’est pas un mauvais film, au contraire; il est magnifiquement interprété (par Fiennes, qui est excellent, mais aussi par William Hurt, Rachel Weisz et Jennifer Ehle); il est très bien photographié (par Lajos Koltai); et la mise en scène de Szabo est académique, mais élégante, sans surprise, mais efficace.
Malheureusement, la lourdeur de la métaphore centrale – qui revient tout au long du film et qui est discutée dans la narration qui ouvre et clôt le récit – finit par rendre triviale cette histoire épique, à réduire une saga historique aux dimensions d’une recette de cuisine. Une recette dont on met d’ailleurs du temps à faire le tour, puisque Sunshine s’étire tout de même sur trois heures. D’où une certaine impression de lourdeur…
Est-ce parce que son scénario original faisait 600 pages? Parce qu’il avait peur que son «message» ne soit pas assez clair? Ou parce qu’il voulait que son film ait la facture vieillotte des grands spectacles à la Dr. Zhivago (auxquels l’apparente d’ailleurs la musique pompière de Maurice Jarre)? Toujours est-il que Szabo semble avoir eu les yeux plus gros que le ventre: son film tente de couvrir tellement d’événements, de personnages et d’histoires, qu’il les couvre tous superficiellement et parfois même confusément – il arrive qu’on ne sache plus quel personnage Fiennes est en train de jouer. Pire: l’ensemble dégénère parfois en une étrange bouillie narrative évoquant tantôt Lelouch, tantôt une minisérie de luxe.
Tout cela est d’autant plus dommage que Sunshine ne manque pas de qualités, ni d’ambition; certaines scènes (surtout celles qui traitent de l’antisémitisme, des purges staliniennes et du rôle de l’artiste en temps de guerre) sont même particulièrement réussies. Mais elles sont trop souvent noyées dans un film qui tente maladroitement de distiller l’histoire du XXe siècle à travers l’entonnoir d’une métaphore réductrice, et qui réduit la quête existentielle d’une famille à la poursuite de la recette d’un élixir. Et cela est d’autant plus regrettable que si Sunshine finit par prouver quelque chose, c’est bien ironiquement qu’une formule ne sert pas à grand-chose…
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