Angela's Ashes : Nature morte
Cinéma

Angela’s Ashes : Nature morte

Quelles qualités peuvent bien échapper au film étrangement terne qu’a tiré Alan Parker d’Angela’s Ashes, le best-seller autobiographique de Frank McCourt racontant les misères d’une famille irlandaise des années trente?

N’ayant pas lu Angela’s Ashes, le best-seller autobiographique de Frank McCourt racontant les misères d’une famille irlandaise des années trente, il m’est impossible de dire laquelle de ses qualités échappe au film étrangement terne qu’en a tiré Alan Parker. Est-ce (comme certains l’ont affirmé) l’humour désespéré mais tonique qui faisait le charme du livre? L’invincible détermination qui animait son héros? Ou le sentiment d’espoir que plusieurs avaient trouvé dans cette histoire pourtant hantée par la pauvreté et la mort?

Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’il manque quelque chose d’essentiel à ce mélodrame à l’ancienne, noyé sous la pluie, la boue, la maladie et la misère. Tous les ingrédients du genre sont pourtant en place: la force tranquille d’une mère (Emily Watson) luttant contre le destin pour protéger sa famille; l’irresponsabilité d’un père (Robert Carlyle) qui boit continuellement l’argent destiné à ses fils; les mille et une maladies (de la typhoïde à la consomption) qui s’abattent régulièrement sur les enfants; et l’acharnement de l’aîné, Frank (joué successivement par trois garçons différents), à réaliser un jour son rêve: fuir ce monde infernal pour aller aux États-Unis (évidemment!).

Malheureusement, ce portrait d’une enfance misérable est si somptueusement photographié et si soigneusement mis en scène qu’on n’a jamais l’impression de voir autre chose qu’une magnifique reconstitution d’époque. On admire l’agencement pictural de taudis qui restent (même dans la misère la plus totale) élégamment pittoresques; on s’émerveille devant la beauté d’éclairages (on pense parfois à Gainsborough) qui transforment même la mort d’un bébé en un véritable tableau; et on est si impressionné par le soin apporté aux costumes, à l’ambiance et même au choix des figurants que le raffinement esthétique de l’ensemble finit par occulter toute émotion. Bref, on regarde ce portrait de la misère la plus abjecte comme on feuilletterait un beau livre d’art.

En bon fils de pub, Alan Parker (Evita, The Wall, Birdy) a toujours eu tendance à privilégier l’emballage aux dépens du contenu. Toutefois, ses oeuvres les plus intéressantes (Midnight Express, Shoot the Moon, The Commitments) étaient généralement portées par une vitalité et une colère qui s’imposaient avec plus de force que leurs qualités de fabrication. Malheureusement, Angela’s Ashes arrive drapé d’ambitions épiques (une durée de 140 minutes, un budget imposant et une musique de John Williams) qui l’embaument rapidement. Seules les scènes avec les enfants renouent avec l’énergie de The Commitments.

En fait, Parker semble si obsédé par la misère de ses personnages qu’il ne leur donne aucune autre dimension; on ne comprendra jamais, par exemple, ce qui a jadis pu unir le père et la mère de Frank, et Emily Watson et Robert Carlyle (pourtant d’excellents acteurs) n’ont d’autres émotions à jouer que le désespoir et la résignation. Avec le résultat que ce qui aurait pu être un grand mélo moderne (à la Breaking the Waves) devient un film académique et paradoxal: un luxueux album d’images qui raconte les malheurs d’une famille victime de la pauvreté, en illustrant somptueusement sa misère, mais rarement ce qui lui permet de la traverser.

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