Beau Travail : Mon légionnaire
Poursuivant ses chroniques africaines, CLAIRE DENIS s’empare de la Légion étrangère, de ses drames et de ses passions. Quelques instants de cinéma pur pour un sujet cliché.
Quoi que l’on pense des films de Claire Denis (Chocolat, S’en fout la mort, J’ai pas sommeil, Nénette et Boni…), on s’en souvient généralement davantage pour leur ambiance, leur sensualité et leurs qualités formelles que pour leurs idées, leurs personnages et leur impact dramatique. On ne sera donc guère surpris d’apprendre qu’il en va de même pour son nouveau film, Beau Travail, un drame poétique inégal, mais superbement photographié et parfois même assez envoûtant, qui remporta la «Louve d’or» l’an dernier au festival de Chamberlan (FCMM) et qui est présenté en première mondiale au complexe Ex-Centris.
Inspiré par deux poèmes d’Herman Melville (The Night March et Gold in the Mountain), le scénario de Beau Travail – écrit par Jean-Pol Fargeau et Claire Denis – repose sur un argument plutôt banal, à la limite du cliché: dans un peloton de la Légion étrangère stationné à Djibouti, un adjudant exemplaire (Denis Lavant) devient jaloux d’une nouvelle recrue (Grégoire Colin) qui attire l’attention d’un supérieur (Michel Subord) pour lequel l’adjudant éprouve une affection diffuse…
Pas besoin d’avoir vu Reflections in a Golden Eye ou Querelle pour deviner la suite: le film est truffé d’échanges de regards chargés entre soldats à moitié nus; de scènes de dialogues virils remplis de sous-entendus transparents; et de références discrètes aux blocages sexuels des personnages, doublées de suggestions explicites quant à la violence dont ils sont capables sous l’empire de la passion…
Heureusement, Claire Denis a eu la bonne idée de «dédramatiser» cette histoire autant que possible: plusieurs scènes potentiellement explosives sont racontées par le biais d’une narration au lieu d’être illustrées de façon traditionnelle; les tensions souterraines qui traversent le récit éclatent rarement au grand jour, et jamais de façon spectaculaire; et la mise en scène privilégie des séquences (souvent sans dialogues) qui ne semblent pas avoir de rapports directs avec l’action. Bref, Claire Denis se sert de l’histoire comme d’un prétexte suffisamment lâche et rassurant dans ce qu’il a de prévisible, qu’elle transforme en une expérience sensuelle et esthétique.
De fait, les meilleurs moments de Beau Travail sont des moments de cinéma pur: des scènes d’exercices militaires réglées comme des ballets érotiques (la réalisatrice a d’ailleurs travaillé ces scènes avec le chorégraphe Bernardo Montet); des séquences quasidocumentaires sur Djibouti, les discothèques locales et la vie quotidienne des légionnaires; et des instants où la cinéaste parvient à saisir l’émergence du désir dans les yeux d’un soldat qui cherche à le réprimer, ou encore les battements d’une artère dans le bras d’un autre au moment où il songe à se suicider.
Pour ces moments de grâce (rares mais puissants), pour le jeu extraordinairement hanté de Denis Lavant, et pour la lumière magnifique (à la fois âpre et sensuelle) d’Agnès Godard, on s’accroche à ce film apparemment linéaire et pourtant curieusement éparpillé, qui semble un peu long malgré ses quatre-vingt-dix minutes.
De fait, on a finalement l’impression que les meilleurs moments du film sont ceux qui ne servent pas à faire avancer son intrigue (prévisible), mais plutôt ceux qui semblent, au contraire, être les plus arbitraires et les plus gratuits (comme l’étrange danse solitaire qui clôt le film). Expérience audacieuse à moitié réussie, Beau Travail est un film qui vaut ultimement moins que la somme de ses parties; une de ces oeuvres, à la fois envoûtantes et un peu lassantes, dont les marges semblent toujours plus intéressantes que le centre.
En primeur à Ex-Centris
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