Cradle Will Rock : Aux barricades!
Cinéma

Cradle Will Rock : Aux barricades!

Tim Robbins est parti d’une anecdote, voulant que la troupe d’Orson Welles ait défié la censure un soir de première, risquant le tout pour le tout pour jouer la pièceCradle Will Rock. Cette anecdote est devenue une épopée cinématographique politico-sociale écrasante…

Ambitieux Tim Robbins qui voulait construire un vrai tableau de l’Histoire… Le réalisateur deDead ManWalking est parti d’une anecdote, voulant que la troupe d’Orson Welles ait défié la censure un soir de première, risquant le tout pour le tout pour jouer la pièceCradle Will Rock, de Marc Blitzstein, durant l’automne 1936 à New York. Cette pièce pro-syndicale s’inscrivait dans le projet de théâtre fédéral qui offrait du travail à tous les professionnels du milieu. Cradle Will Rock, le film, est une gigantesque production. L’anecdote est devenue une épopée cinématographique politico-sociale écrasante. On imagine les heures de recherches, les archives à dépoussiérer, les films d’actualité à visionner, les musiques à écouter et les tableaux à recopier… Le travail de reconstitution historique est titanesque et on ne peut que le saluer. Mais à vouloir être honnête avec tout le monde, Tim Robbins s’est éparpillé et a perdu le fil. Dangereusement, il est parti d’une voix pour orchestrer un choeur énorme, devenant ainsi, un directeur de chorale à la Lelouch. Il a voulu réécrire l’Histoire.

Rien de nouveau, Robbins le militant mélange ouvertement art et politique. En voulant donner l’heure juste, il distorsionne cependant. En effet, l’opérette de Blizstein serait-elle vraiment connue aujourd’hui sans les bizarreries de sa production? Qu’importe, par souci d’honnêteté, Robbins pense avoir construit un film démocratique, où toutes les voix se valent. Foutaise, mais le ballet de stars est plutôt agréable. On écoute les discours de la diplomate italienne qui vend des tableaux de maîtres aux millionnaires américains pour aider Mussolini (Susan Sarandon), ceux des nantis qui aimeraient museler l’art et les artistes: Nelson Rockefeller (John Cusack), William Hearst (John Carpenter) et Grey Mathers (Philip Baker Hall); ceux des artistes au bord de la révolution: Diego Rivera (Ruben Blades), Orson Welles (Angus MacFayden) et Marc Blitzstein (Hank Azaria) et ceux qui, en sourdine, forment le tissu des angoisses sociales de ces années charnières : la vraie misère (Emily Watson), la force de l’engagement (John Turturro, Cherry Jones), la fin de l’espoir (Bill Murray), la délation et la montée de l’intransigeance (Joan Cusack), et un vrai luxe mondain qui va disparaître (Vanessa Redgrave). Avec talent, Robbins a mélangé les grandes figures explosives de l’époque à des inconnus imaginaires. Le casting est généralement bon, quoique Welles soit par trop tonitruant; et certains duos, comme celui de John Cusack et Ruben Blades, fonctionnent bien.

À la façon d’un tableau de Diego Rivera, ce film est une peinture réaliste et colorée. Ambitieuse certes, mais naïve. Les personnages, vrais et faux, traînent un message social si gros qu’ils frisent la caricature. La politique est-elle aussi simpliste? Les pro-fascistes sont retors et mielleux, les gauchisants sont justes, entiers et passionnés. Tout est noir ou blanc; choisis ton camp, camarade. Cette impression de candeur sérieuse et dogmatique est sous-tendue par une mise en scène classique qui ne laisse jamais le temps de respirer. Tous poussent leur jeu au maximum. Les acteurs porte-étendards sont en mission. Tout ceci est un peu épuisant et très manichéen. Comme si on avait mis tous les meilleurs explosifs dans une bouteille, histoire de rendre la bombe plus puissante…